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HISTOIRE DU TAMBOUR LEGRAND.

Brenta, qui le transportèrent dans un lieu bien connu, et, lorsqu’il descendit devant ce palais, qu’il connaissait si bien, il entendit qu’on lui disait : « La signora Laura est dans le jardin. »

Elle était debout, appuyée contre la statue du Laocoon, sous une touffe de roses rouges, à l’extrémité de la terrasse, non loin des saules pleureurs qui se penchaient mélancoliquement sur le fleuve : c’était une douce image de l’amour, répandant une exhalaison de roses. Pour lui, il s’éveilla comme d’un mauvais rêve, et se trouva plongé dans les délices et les desirs.

— Signora Laura ! dit-il, je suis un infortuné poursuivi par la haine, la misère et le mensonge. Puis il hésita et balbutia : Mais je vous aime. Puis une larme roula dans ses yeux, et les yeux humides, les lèvres tremblantes, il s’écria : Sois à moi ! aime-moi !

Un voile mystérieux a été jeté sur cette heure. Nul mortel ne sait ce que la signora Laura a répondu, et, lorsqu’on interroge à ce sujet son bon ange gardien dans le ciel, il se couvre la tête, soupire et se tait.

Le chevalier resta long-temps seul près de la statue de Laocoon. Sa figure était blanche et défaite. Il effeuillait machinalement toutes les roses, et brisa même quelques boutons. — L’arbre n’a plus jamais porté de fleurs. Au loin, un rossignol faisait entendre une chanson plaintive ; les saules étaient agités ; les vagues noires de la Brenta murmuraient sourdement ; la nuit s’éleva dans le ciel avec sa lune et ses étoiles, et une belle étoile, la plus belle de toutes, coula le long du ciel et disparut.


Vous pleurez ! madame.

Oh ! puissent ces yeux, qui versent de si belles larmes, éclairer encore long-temps le monde de leurs rayons, et puissent de tendres mains les fermer un jour, à l’heure de la mort ! Un doux baiser est encore une bonne chose à l’heure de la mort, madame, et puisse-t-il ne pas vous manquer ; et, lorsque votre belle tête fatiguée s’affaissera, et que vos cheveux noirs tomberont sur vos joues pâles, veuille alors Dieu vous rendre les pleurs qui ont coulé pour moi ; car je suis moi-même le chevalier pour qui vous avez pleuré, je suis moi-même le chevalier errant de l’amour, le chevalier de l’étoile tombée.

Vous pleurez ! madame.