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LETTRE


au directeur de la Revue des Deux Mondes.

Genève, 10 août 1832.


Permettez-moi, monsieur, de consacrer, dans votre Revue, un souvenir à la mémoire de Louis Robert, de Berlin, qu’une mort prématurée vient d’enlever à ses amis. Il n’y a pas encore six semaines que, nous promenant sous les délicieux ombrages de Baden-Bade, nous devisions ensemble sur la poésie et la littérature germaniques. Gravissant ces montagnes hérissées de noirs sapins, au milieu des ruines pittoresques des châteaux du moyen âge, il me lisait des vers que lui avaient inspirés les Orientales de Victor Hugo, et se plaisait à me faire remarquer la singulière facilité avec laquelle la langue allemande peut s’approprier les beautés de nos chefs-d’œuvre romantiques ; quelquefois, par une transition soudaine, s’élançant des régions de la poésie à celles de la philosophie, il me commentait des passages de Fichte, dont il avait été le disciple et l’ami. Sa conversation était tout à-la-fois piquante et instructive, son esprit aimable et enjoué ; il y avait de la finesse dans ses observations et de l’atticisme dans ses critiques ; mais elles glissaient sur les individus sans faire grâce aux ridicules. Robert appartenait au passé par les goûts et les liaisons de sa jeunesse. Vétéran de l’école de Goëthe et de Tieck, dont il se montrait l’admirateur passionné, il avait milité pour eux, pendant vingt ans, dans les feuilles littéraires, comme un soldat qui défend ses chefs et ses drapeaux. Il a composé plusieurs comédies : l’une d’elles, Die überbildeten, dont le canevas est tiré des Précieuses ridicules de Molière, mais revêtu de couleurs empruntées aux mœurs et aux localités allemandes, a été jouée, pour la première fois avec beaucoup de succès, en 1803 ; depuis elle a été rajeunie dans ses détails et n’a pas obtenu moins de faveur : je citerai encore Cassius et Fantasus, pièce allégorique et satirique, dont le sujet est purement littéraire : Cassius est la caisse, et Fantasus l’imagination ; enfin