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UN SOUVENIR DU BRÉSIL.

tage, nous retardaient dans notre marche. Le vieux Miguel, endurci à la fatigue, leur chantait en vain les louanges de son maître qu’il entremêlait de descriptions pompeuses de ses richesses, du bonheur dont ils allaient jouir sous ses ordres, et de ces mille choses que Dieu n’a placées que dans la tête d’un nègre. Nous laissions derrière nous l’immense vallée où la Paraïba poursuit son cours majestueux au travers des forêts, tantôt silencieuse et paisible comme les solitudes de ses bords, tantôt gémissante et réveillant les échos des déserts.

Bientôt nous entrâmes dans la province de Minas, et un soir, à l’entrée d’un vallon étroit, près d’une petite rivière tombant en cascades, sur l’un de ses côtés, nous aperçûmes une maison blanche entourée de vastes plantations de cafeyers, de manioc et de maïs montant jusqu’au sommet des collines ; un champ de bananiers fuyait derrière elle dans la vallée, et près de là on entrevoyait les cases des nègres à demi cachées par des orangers, des calebassiers et d’autres arbres qu’ils ont coutume de planter autour de leurs demeures. Le calme régnait sur toute cette scène ; on n’apercevait d’autre créature vivante qu’une vieille négresse assise sur le seuil de la maison, nonchalante et occupée à fumer dans une de ces pipes de terre que les nègres savent fabriquer eux-mêmes.

— C’est là ! me dit le planteur, et un rayon de joie mêlé de fierté brilla dans ses yeux : — il était temps d’arriver ; mes nègres n’en peuvent plus.

Nous entrâmes dans la maison déserte. La vieille négresse se leva en nous voyant. — Votre bénédiction, maître, dit-elle, suivant la coutume des esclaves brésiliens. — C’est bon, je te la donne, répondit Joâo Manoel. Il prit ensuite un de ces coquillages dont la dernière spire a été enlevée pour donner passage à l’air, et à trois reprises différentes il en tira des sons qui retentirent dans toutes les directions ; c’est le signal accoutumé qui rappelle les esclaves du travail à la fin du jour. Une demi-heure après, nous les vîmes paraître accompagnés du feitor (régisseur) de l’habitation, personnage au teint basané, à la voix impérative, vêtu, pour tout costume, d’un pantalon, d’une chemise