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ques ; mais sous toutes ces folies se cache une idée philosophique, c’est que les conditions de notre existence venant à changer le moins du monde, il en résulterait une mer d’absurdités, et chacune des extravagances d’Holberg est, sous une forme burlesque, l’hommage d’un esprit sérieux à la Providence. En général, le trait saillant du comique d’Holberg, c’est le sérieux ; il a constamment une intention morale que sa verve ne déguise pas toujours assez. Disciple avoué de Molière, il fut, comme son maître, valétudinaire et hypocondriaque, mais seulement par accès[1] ; habituellement, Holberg était un homme sérieux, posé, réfléchi ; il aimait la société des femmes et vécut sans passion. Il y avait en lui quelque chose du tempérament de Boileau et une étincelle du génie de Molière.

Le Danois Holberg et le Vénitien Goldoni sont les seuls étrangers qui aient marché avec quelques succès sur les traces de notre grand comique, tous deux dignes d’estime pour avoir nationalisé leur imitation, pour avoir, non copié les peintures, mais, dans la mesure de leurs forces, reproduit la manière du maître.

Ces deux hommes semblent s’être partagé Molière : on dirait que chacun d’eux s’est emparé d’une moitié de son génie. L’Italien a pris le naturel et la vivacité du dialogue ; l’homme du Nord, l’intention philosophique. Mais dans l’arithmétique de l’art les deux moitiés ne font pas le tout. Additionnez toutes les fractions imaginables et vous n’aurez pas encore la majestueuse unité du génie ; d’ailleurs ces deux hommes distingués n’ont point porté aussi loin que Molière les qualités par lesquelles ils lui ressemblent. La facilité ingénieuse de Goldoni n’est pas cette veine intarissable de gaîté forte et franche, qui débordait, pour ainsi dire, du génie de Molière. Holberg n’a pas cette profondeur de conception qui étonne dans le Tartuffe ; sa gloire est de rappeler

  1. Holberg nous apprend, dans sa Vie, qu’il entrait par moment dans des humeurs noires et des accès de colère contre le genre humain, dont il se guérissait avec deux pilules prises à propos : la Misanthropie de Molière était plus profonde.