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MŒURS DES AMÉRICAINS.

j’en aurais vivement joui. Malheureusement je m’arrêtai pour écouter, à l’angle d’une tente plus bruyante que les autres, et peu d’instans suffirent pour dissiper les illusions naissantes de mon imagination, et me rappeler à des réalités d’une nature trop prononcée pour permettre ou la méprise ou l’oubli.

« Un grand nombre de personnes se promenaient comme nous dans l’enceinte, et, comme nous aussi, semblaient n’être venues là que pour voir. Quelques-unes s’étaient arrêtées près de cette tente, et il s’en trouva qui poussèrent l’indiscrétion jusqu’à entrouvrir la toile à l’un des angles. Grâce à leur curiosité, la nôtre fut satisfaite, et nous pûmes voir parfaitement tout ce qui se passait dans l’intérieur.

« Le sol de la tente était jonché de paille, relevée tout autour en couches plus épaisses, de manière à former comme un divan circulaire où l’on pût s’asseoir ; mais ce divan n’était point en ce moment consacré à cet usage : il soutenait les bras et les têtes d’un cercle pressé d’hommes et de femmes agenouillés sur le sol.

« D’une trentaine de personnes ainsi placées, une demi-douzaine peut-être étaient des hommes. Un de ces derniers, beau garçon de dix-huit à vingt ans, était précisément agenouillé au-dessous de l’ouverture par laquelle nous regardions. Son bras était passé autour du cou d’une jeune fille, à genoux à côté de lui, la chevelure éparse sur ses épaules, et le visage agité de la plus vive émotion. Nous les vîmes bientôt tomber ensemble sur la paille, comme s’ils eussent été incapables de supporter dans une autre attitude la brûlante éloquence d’une grande figure habillée en noir, qui, debout au centre de la tente, débitait avec une incroyable véhémence un discours qui semblait tenir le milieu entre la prédication et la prière. Les bras de cet homme pendaient raides et immobiles à ses côtés, et il avait l’air d’un automate mal construit, mis en action par un moteur si violent, qu’il courait risque d’en être brisé, tant les mots étaient chassés de sa bouche par secousses pénibles et cependant rapides. Le cercle agenouillé ne cessait d’invoquer le nom de Jésus sur tous les tons, et ces invocations étaient accompa-