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MŒURS DES AMÉRICAINS.

« C’est généralement à deux heures que les pensionnaires mâles se réunissent de nouveau aux pensionnaires femelles pour dîner. Hormis quelques paroles murmurées entre les maris et leurs femmes, ce repas est aussi silencieux que celui du matin. Quelquefois une solitaire bouteille de vin flanque l’assiette d’un ou deux individus ; mais elle n’ajoute rien à la gaîté de la réunion, et rarement plus d’une rasade à la bonne chère de son maître. Ce n’est ni à pareille heure, ni en pareil lieu que les gentilshommes de l’Union boivent. Le dîner est donc bientôt achevé, et si, quand la salle est évacuée, vous en sortez à votre tour et grimpez l’escalier par lequel se sont évanouis les convives, en passant successivement devant les appartemens des épouses indulgentes qui viennent de vous quitter, vous sentirez s’en exhaler une odeur de cigare, qui vous aidera à vous représenter le genre de plaisir auquel les aimables couples se livrent. Si l’homme est un mari poli, aussitôt qu’il a fini de boire et de fumer, il offre son bras à sa femme jusqu’au coin de la rue où son magasin ou son bureau est situé, et là il la laisse, sauf à elle à tourner ses pas du côté qu’elle aime le mieux. Comme c’est l’heure où les femmes sont en toilette, elle va où elle a quelques chances d’être vue ; ou bien elle fait quelques visites ; ou bien elle entre à l’église, ou dans quelque boutique avec laquelle son mari fait des affaires ; puis elle rentre chez elle ! je me trompe, on n’est pas chez soi dans un hôtel. Non, elle rentre dans cette froide atmosphère d’une maison publique, où l’hospitalité est inconnue, que l’intérêt administre et non point l’affection, et où l’intérêt seul vous accueille. Les habitans de ce caravansérail se rencontrent de nouveau à l’heure du thé, où chacun s’efforce d’avoir le meilleur lot dans le partage du sucre et des gâteaux ; après quoi ceux qui ont le bonheur d’avoir des engagemens pour la soirée, se hâtent de sortir, tandis que ceux qui n’en ont point, ou se retirent de nouveau dans leur chambre solitaire, ou ce qui me paraît encore pis, demeurent dans la salle commune, au milieu d’une société qu’aucun lien ne cimente, qu’aucune affection n’anime, dont tous les élémens ont été rapprochés par le hasard et peuvent être séparés de nouveau par le plus léger motif. Je remarquais que les hommes avaient toujours après le thé quelques affaires qui les obligeaient de sortir, et je le comprenais sans peine.

« Ce n’est pas ainsi que les femmes peuvent obtenir l’influence sociale qu’elles ont en Europe, et dont les philosophes comme les hommes du monde s’accordent à reconnaître les salutaires effets. C’est en vain que de savans collèges sont fondés pour l’éducation des jeunes personnes ; c’est en vain qu’on leur confère des degrés académiques ; une fois mariées, et toutes ces bribes d’une science fastueuse oubliées, la déplo-