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dant trop fort M. Michel de ce mariage. Pour consoler son époux, la vieille fée aux Miettes se métamorphose pendant les nuits en une jeune et charmante princesse Belkiss ; et, lorsqu’il aura trouvé la mandragore qui chante, la Fée aux Miettes, tout-à-fait désenchantée, sera pour lui la belle Belkiss, non-seulement la nuit (ce qui d’ailleurs était l’essentiel), mais encore le jour.

Quelle folie ! pensez-vous. Justement, c’est une folie. Ne vous ai-je pas prévenu ? C’est un fou qui fait ce récit ; c’est M. Charles Nodier qui l’écrit sous sa dictée. Et le secrétaire est bien pour quelque chose dans l’histoire ; il y met bien un peu du sien. Aussi combien de ravissans détails que n’eût point trouvés, j’en suis sûr, M. Michel tout seul ! Si M. Nodier ne l’eût aidé de sa plume, ce pauvre lunatique nous eût-il si merveilleusement décrit tant de jolies scènes de ses aventures ? Aurions-nous pris tant de plaisir à la pêche aux coques et aux fées sur les grèves de Saint-Michel ? Nous serions-nous si fort divertis au bal des sœurs de la Fée aux Miettes, et à voir danser ces quatre-vingt-dix-neuf petites poupées vivantes ?

Oui, la Fée aux Miettes est vraiment une folle histoire, mais non point une histoire fantastique. Ou bien, si c’est là du fantastique, quoi qu’en dise M. Charles Nodier, dont je n’admets pas les théories sur ce point, ce n’est assurément pas du fantastique plus vraisemblable que celui d’Hoffman. Tout au contraire, je n’accepte les rêveries de Michel que comme la curieuse, mais impossible fantaisie d’un cerveau dérangé, tandis que je crois aux contes d’Hoffman avec conviction, comme il y croit lui-même.

Au surplus, M. Nodier nous fait bon marché de sa théorie, car il l’abandonne et la désavoue lui-même à la fin de sa préface.

Dans les divers contes et romans que nous venons d’examiner, si l’auteur ne se montre pas précisément, au moins se laisse-t-il à peu près voir, et l’on reconnaît aisément que c’est lui qui parle, la plupart du temps, par la bouche de ses personnages. Jetons maintenant un coup-d’œil sur ceux de ses ouvrages où il se met tout-à-fait en scène, et où il raconte en son propre nom.

Les Souvenirs de la Révolution nous offrent une galerie de portraits d’après nature, sinon tous d’une parfaite ressemblance historique, au moins tous peints de main de maître ! Parmi ces tableaux, que distinguent surtout l’harmonie des tons et la suavité du coloris, il y a telles figures, celle entre autres du colonel Oudet, que l’on ne saurait comparer qu’aux merveilleuses têtes de Murillo, tant les nuances en sont chaleureusement fondues, ainsi que dans les poétiques créations du peintre espagnol.