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il n’est que l’écho un peu affaibli de cette autre voix impétueuse : Levez-vous, orages désirés, qui devez emporter René, etc. Rousseau, je le sais, agit aussi très-puissamment sur Lamartine ; mais ce fut surtout à travers Bernardin de Saint-Pierre et M. de Chateaubriand qu’il le sentit. Il n’eut rien de Werther ; il ne connut guère Byron de bonne heure, et il en savait peu de chose au-delà du renom fantastique qui circulait, quand il lui adressa sa magnifique remontrance. Son génie préexistait à toute influence lointaine. André Chénier, dont la publication tardive (1819) a donné l’éveil à de bien nobles muses, particulièrement à celle de M. Alfred de Vigny, resta, jusqu’à ces derniers temps, inaperçu et, disons-le, méconnu de Lamartine, qui n’avait rien, il est vrai, à tirer de ce mode d’inspiration antique, et dont le style était déjà né de lui-même à la source de ses pensées. J’oserai affirmer, sans crainte de démenti, que, si les poésies fugitives de Ducis sont tombées aux mains de Lamartine, elles l’ont plus ému dans leur douce cordialité et plus animé à produire, que ne l’eussent fait les poésies d’André, quand elles auraient paru dix ans plus tôt, Saint-Martin, que j’ai nommé, n’aura jamais été probablement de sa bien étroite connaissance. Lamartine n’est pas un homme qui élabore et qui cherche ; il ramasse, il sème, il moissonne sur sa route ; il passe à côté, il néglige ou laisse tomber de ses mains ; sa ressource surabondante est en lui ; il ne veut que ce qui lui demeure facile et toujours présent. Simple et immense, paisiblement irrésistible, il lui a été donné d’unir la profusion des peintures naturelles, l’esprit d’élévation des spiritualistes fervens, et l’ensemble de vérités en dépôt au fond des moindres cœurs. C’est une sensibilité reposée, méditative, avec le goût des mouvemens et des spectacles de la vie, le génie de la solitude avec l’amour des hommes, une ravissante volupté sous les dogmes de la morale universelle. Sa plus haute poésie traduit toujours le plus familier christianisme et s’interprète à son tour par lui. Son ame est comme l’idéal accompli de la généralité des ames que l’ironie n’a pas desséchées, que la nouveauté n’enivre pas immodérément, que les agitations mondaines laissent encore délicates et libres. Et en même temps, sa forme, la moins circonscrite, la moins matérielle, la plus diffusible des formes dont jamais langage humain