Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 8.djvu/184

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
178
REVUE DES DEUX MONDES.

au Tristan de Thomas d’Erceldoune, mais à celui auquel appartient le premier fragment déjà cité. En effet, ce second fragment annonce un ouvrage ayant tous les caractères d’un abrégé, d’un résumé destiné à donner une idée vive et sommaire du sujet longuement détaillé dans le premier.

Reste maintenant à décider si l’énorme Tristan en prose est de même postérieur à celui de Thomas d’Erceldoune, ou si, au contraire, il serait plus ancien, et lui aurait servi ou pu servir d’original.

Pour ceux qui pensent que le Tristan en prose fut composé par l’ordre du roi d’Angleterre Henri ii, par conséquent de 1152 à 1188, la question est bientôt résolue. Mais j’ai déjà montré ailleurs que cette opinion est de tout point gratuite. Il est vrai qu’un chevalier Luce, seigneur d’un château de Gast, se donne pour l’auteur du grand Tristan en prose, et prétend l’avoir traduit du latin, par l’ordre et pour l’amour d’un roi d’Angleterre du nom de Henri. Mais il est vrai aussi que, dans le passage du roman où il dit cela, messire Luce dit d’autres choses fausses et absurdes ; mais il est vrai aussi que Walter Scott a énoncé sur ce messire Luce des doutes fort graves et très-motivés. « Ce Luce, dit-il, ce seigneur du château de Gast, semble tout aussi fabuleux que son château et que l’original latin de son roman. Pourquoi aurait-on composé au xiiie siècle une histoire de Tristan en latin ? Pour qui cette histoire aurait-elle été une source d’agrément ou d’instruction ? »

Il y aurait encore plus d’un pourquoi à ajouter à ceux de Walter Scott ; mais je veux, pour le moment, les laisser tous de côté, et prendre Luce, seigneur de Gast, pour un personnage réel qui dit quelque chose de vrai, en affirmant qu’il a travaillé pour un roi du nom de Henri. Mais au moins ne dit-il pas que ce soit pour Henri ii, et c’est une invraisemblance de moins dans son témoignage.

Le roi Henri iii, qui dans sa majorité régna de 1227 à 1272, patronisa beaucoup la littérature anglo-normande ; et ce fut, tout oblige à le croire, plutôt pour lui que pour Henri ii, que put être composé le roman de Tristan. Mais comme ce règne