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LE CLOU DE ZAHED.

Il n’eut pas le temps d’achever : on entendit un sifflement aigu, et la tête d’Ali-Ahmed roula sur le sable.

Zahed prêta le secours de son bras à son compagnon, et ils jetèrent dans le puits ce cadavre et sa tête sanglante. Puis ils déracinèrent un dattier pour retenir le cadavre au fond du puits.

— Maintenant, dit Hamdoun, brave Zahed, j’ai rempli ma promesse. Retourne à Baghdad réclamer les trésors du vieillard ; je pars pour Damas. Ton chemin est au sud, le mien est au nord : adieu, plaise au ciel que nous ne nous revoyons jamais ! Et les deux meurtriers se séparèrent.

Une année après le meurtre, on jeta les fondemens d’un palais magnifique sur ce même emplacement qui venait d’être témoin de cette horrible scène. Les vieilles ruines de Ctésiphon et de Babylone furent remuées par des esclaves et des ouvriers. Elles émigrèrent sur le dos d’une troupe de chameaux pour se transformer en un palais arabe, immense, si merveilleux à voir, que Baghdad n’en renfermait pas de plus somptueux. Les eaux du Tigre furent détournées de leur lit pour arroser des jardins embaumés de cédrats, d’orangers et de lauriers roses. Les soies dorées de l’Inde et de la Perse revêtirent les divans ; les tapis de Trébisonde et de Constantinople couvrirent les parquets de cèdre ; les murs se tapissèrent de fleurs peintes et d’arabesques entrecoupées de légendes du Koran, de ghazelles de Saadi et de Mésihi, écrites en lettres d’or. Une foule d’esclaves noirs et blancs peuplèrent cette ravissante demeure, où Zahed, qui avait changé son nom de Bédouin pour le nom turc de Mohammed-Ildérim-Tchélébi, fit transporter son harem, rempli des plus belles femmes de la Mingrélie et de la Circassie. Les plus rares chevaux de l’Arabie firent retentir de leurs sauvages hennissemens ce désert, naguère si triste et si effrayant. La nuit, le jour, on n’entendait que des cris de joie et de bonheur. On ne distinguait plus que par intervalles le sourd mugissement des flots du Tigre, que des concerts d’instrumens étouffaient dans des harmonies sans fin. Des nuées de convives accouraient de Baghdad, et même de Mossoul et de Bassorah, pour prendre part aux orgies délicieuses que le nouveau maître de ce séjour enchanteur y faisait jaillir toujours nouvelles, comme les eaux d’une source limpide. On eût dit que la baguette d’une fée