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débute par les jeux les plus bizarres, se permet les comparaisons les plus disparates, les plus monstrueux accouplemens : il prend la révolution française pour une apparition fantastique, et il en compose avec l’antiquité un mélange adultère. Cependant une autre tentation le prend ; s’il chantait les autels relevés, le christianisme rétabli ! Jamais ouvrage n’offrit plus que le Génie du Christianisme le reflet de M. de Chateaubriand ; descriptions magnifiques de poétiques circonstances, de cérémonies religieuses, des merveilles de la nature, résurrection oratoire et impétueuse des vieux souvenirs, sentiment profond des sublimités de la Bible et de Bossuet : mais où est la pensée de l’ouvrage ? Faut-il la chercher dans la supériorité du passé sur le présent et l’avenir du monde ? elle serait fausse ; mais non, ne demandons pas à cette œuvre brillante une profondeur même erronée. M. de Chateaubriand s’est proposé d’écrire admirablement sur un thème adopté ; voilà tout. C’est un habile orateur qui sacrifiera tout à un parti pris ; dans son panégyrique du catholicisme, rien ne l’embarrasse. La réforme, la philosophie, la révolution française, tout le mouvement de la rénovation moderne sera oublié ou flétri, et à force de tableaux enchanteurs, de prétentions adroites, de poétiques ornemens, le lecteur est saisi, entraîné jusqu’au bout. C’est bien : mais aussi quand le temps a coulé, on expose ses ouvrages à de cruels retours si on ne leur a pas donné pour appui le bon sens du genre humain ; il ne suffit pas à la gloire d’être concédée une fois, elle doit pouvoir soutenir le regard des générations qui arrivent, et sortir triomphante des révisions séculaires. Au Génie du christianisme je préfère de beaucoup les Martyrs et l’Itinéraire qui en sont comme les radieux corollaires. M. de Chateaubriand s’y trouve plus à l’aise qu’ailleurs, il n’a qu’à chanter et à décrire, et il n’est nulle part plus excellent et plus pur que dans son épopée et ses notes de voyageur : nouvelle preuve de l’originalité presque exclusive qui marque au front ce favori des Muses : il a été jeté sur la terre pour chanter, et ce n’est pas son affaire de conclure ou d’agir. Vous avez lu, monsieur, le dernier ouvrage de M. de Chateaubriand, ses Études historiques : tout ce qui est descriptions et tableaux resplendit d’un éclat incomparable ; mais dès que l’auteur veut se montrer philosophe, historien grave, dès