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POÈTES CONTEMPORAINS.

tiquement, cela ne peut pas être. Les secondes Méditations ne finissent pas, ne s’accomplissent pas comme les premières ; elles ouvrent un champ nouveau, indéfini, plus serein, plus paisible et lumineux ; elles laissent entrevoir la consolation, l’apaisement dans l’ame du poète ; mais elles n’apaisent pas le lecteur. Par beaucoup de détails, par le style, par le souffle et l’ampleur des morceaux pris séparément, elles sont souvent supérieures aux premières Méditations ; comme ensemble, comme volume définitif, j’aime mieux les premières. La Mort de Socrate et surtout le Dernier Chant d’Harold sont d’admirables méditations encore, avec un flot qui toujours monte et s’étend, mais avec l’inconvénient grave d’un cadre historique donné et de personnages d’ailleurs connus : or, Lamartine, le moins dramatique de tous les poètes, ne sait et ne peut parler qu’en son nom. C’est donc aux Harmonies qu’il faut venir, pour le voir se déployer tout à l’aise, sans mélange ni entourage, dans l’effusion de sa grande manière. Là, l’élégie, la scène circonscrite, la particularité individuelle, n’existent presque plus ; je n’entends qu’une voix générale qui chante pour toutes les ames encore empreintes, à quelque degré, de christianisme. Cette voix chante les beautés et les dangers de la nuit, l’ivresse virginale du matin, l’oraison mélancolique des soirs ; elle devient la douce prière de l’enfant au réveil, l’invocation en chœur des orphelins, le gémissement plaintif des souvenirs en automne, quand les feuilles jonchent la terre, et qu’au penchant de la vie soi-même, on suit coup sur coup les convois des morts. Elle exhale enfin, elle exprime dans Novissima Verba ces quarts d’heure de navrante agonie, qui, comme une horrible tentation ou un avertissement salutaire, s’emparent souvent des plus nobles mortels au sommet de l’existence et les inondent d’une sueur froide, rappetissés soudain et criant grâce, au sein des félicités et de la gloire !

Lamartine avait d’abord une nacelle ; il l’abritait, il la ramenait au rivage ; il en détachait l’anneau par oubli, il s’y balançait tout le jour, au gré de la vague amoureuse, le long d’un golfe bordé de myrtes et d’amandiers. Bien des fois, sans doute, bercé nonchalamment, il regardait le ciel, et sa pensée planait dans l’abyme d’azur ; mais on avait là toujours à deux pas la terre, les