Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 8.djvu/480

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
474
REVUE DES DEUX MONDES.

intelligence qui veut elle-même tout élever et tout niveler : le christianisme a proclamé l’ame humaine égale à l’ame humaine ; la philosophie moderne a proclamé en France l’esprit humain égal à l’esprit humain dans son principe ; les différences consistent dans la manifestation ; cette égalité n’est pas seulement pour nous une conception métaphysique, elle est une réalité que nous voulons appliquer, c’est une croyance qui a toujours subsisté dans la conscience nationale. Voilà pourquoi, monsieur, la France a été l’adversaire impitoyable de la féodalité : elle opposa à un ordre matériel, triomphe de la force, les victorieuses antipathies de la pensée ; voilà pourquoi encore elle ne peut supporter les accidens de la naissance érigés en aptitudes sociales ; elle accorde tout à l’homme, rien à la race ; tout à la science et au courage, rien à la peine de naître ; elle fera plier sous le poids des honneurs Cuvier et Masséna, mais elle refuse tout aux fils qui dégénèrent. Tandis que l’Anglais, héritier du sang et des traditions germaniques, s’enferme avec fierté dans son droit personnel, supporte et respecte toutes les inégalités héréditaires, consent à s’y plier, et se retranche dans sa condition comme dans une forteresse, le Français au contraire, faisant trop bon marché de ses libertés individuelles, poursuit les plaisirs et le charme d’une égalité sans laquelle il ne saurait vivre : il a besoin, pour respirer librement, d’une certaine familiarité avec ce qui le précède et ce qui le suit ; il est plus sociable que personnel.

Ayant pour principes l’intelligence et le travail, et pour loi l’égalité, la démocratie française, depuis quarante ans, cherche à résoudre le problème de l’association : la variété des constitutions politiques dont elle a fait l’essai n’a pas d’autre sens : notre société est en travail, elle multiplie les ébauches, elle brise les moules imparfaits, elle efface les mauvaises esquisses ; elle innove incessamment dans les formes plastiques de la sociabilité. Qu’est-ce à dire, monsieur ? tout cela est-il arbitraire, fortuit et vain ? Et les épreuves d’une nation n’ont-elles rien de plus raisonnable que les caprices et les jeux d’un enfant ?

Pour résoudre le problème de l’association, il faut à notre siècle et à notre démocratie une philosophie progressive et nouvelle, on y tend, on s’y emploie.