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LETTRES PHILOSOPHIQUES.

de son industrieuse et vaillante population ; la belliqueuse et patriotique Grenoble le fête avec enthousiasme ; le lieutenant de Washington est le bien-venu dans cette patrie de Bayard, qui avait accueilli Napoléon avec ivresse. Lafayette est heureux ; il sent battre le cœur du peuple ; il espère, il est tranquille, il attend une révolution.

Quand vous suivez la vie d’un homme historique, votre esprit n’est satisfait qu’au moment où un grand événement vient jeter la lumière sur le caractère que vous examinez. Il est des positions qui mettent l’homme à découvert ; saisissez-le d’un coup, il est à nu. Sans la révolution de 1830, je crois que les jeunes gens de notre âge auraient compris moins clairement le rôle de M. de Lafayette dans notre rénovation sociale. Mais sa conduite récente nous explique son passé et le complète parfaitement. Le peuple, au milieu du combat, appelle Lafayette : Lafayette arrive, la victoire est remportée ; Lafayette la préside ; les Bourbons envoient lui redemander la couronne qu’ils ont laissé cheoir : Il est trop tard, répond Lafayette. Ce n’est pas l’homme d’un parti, c’est un juge qui prononce la sentence de la France. Lafayette restaure les trois couleurs, donne des armes à tous les citoyens, relève la souveraineté nationale, laisse faire un roi, abat de nouveau le privilége aristocratique, couvre de sa popularité une chambre suspecte, des ministres coupables, se démet de son commandement et rentre dans son repos. Entendez-vous maintenant où cet homme a placé sa gloire ? Ne lui proposez pas la dictature, il n’en a ni le goût, ni l’instinct : n’attendez pas de lui davantage l’érection subite de la république ; ce républicain ne veut pas surprendre son pays, et tricher au jeu des révolutions ; ce qu’il considère comme la vérité sociale ne doit pas être un accident fugitif, mais la conquête réfléchie et définitive d’une nation convertie. M. de Lafayette met sa gloire à suivre la France et non pas à la devancer.

Que j’aime ces roués politiques qui jugent avec une suffisance ironique un des plus solides et plus purs caractères de l’histoire moderne ! Ils raillent la candeur du vieillard qu’ils ont éconduit et qu’ils courtisaient naguère. Mais le cultivateur de Lagrange n’est pas dupe. Il a fait ce qu’il voulait faire ; après quarante ans d’attente, il a banni la race de Louis xvi, il a inauguré les