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REVUE. — CHRONIQUE.

Après la mère Marie-Reine, voici venir la mère Christine-Sophie, autre fondatrice, qui annonce plus explicitement que la société doit se reconstituer et formuler une morale nouvelle, propre à la satisfaction des besoins, et à l’accomplissement des désirs de chacun et de chacune. Les hommes et les femmes, selon le vœu de la mère Christine-Sophie, seront tenus de travailler conjointement à cette œuvre. La femme y apportera spécialement sa face aimable et attrayante, et toute la bonne volonté dont elle est capable. Quant aux hommes nos anciens maîtres, ajoute Christine-Sophie, qui d’ailleurs on le voit, a complètement secoué leur joug, ils ne nous refuseront pas, je l’imagine, leur concours, et je revendique hautement leur coopération.

S’occupant ensuite de l’éducation des jeunes filles, Christine-Sophie observe avec beaucoup de raison et de sagacité, qu’on ne saurait leur inculquer trop tôt la morale nouvelle.

Mais est-ce donc assez de leur donner des notions d’histoire, de calcul et de géographie ? est-ce donc là tout ce qu’il leur faut enseigner ? s’écrie alors Christine-Sophie : n’avons-nous pas aussi à leur apprendre une autre science tout aussi importante, et sur laquelle on les laisse dans l’ignorance la plus complète.

La mère Christine-Sophie ne dit pas précisément quelle est cette autre science si nécessaire aux jeunes filles ; ce ne peut-être pourtant, si je ne me trompe, que la morale nouvelle ci-dessus exposée, avec tous ses priviléges et toutes ses franchises.

La mère Joséphine-Félicité, prenant à son tour la parole, ne s’exprime pas avec moins d’énergie et d’éloquence.

Elle se proclame également libre. Assez long-temps, dit-elle, les hommes nous ont dirigées et dominées. À nous maintenant de marcher à notre guise ! à nous maintenant le haut du pavé ! à nous de travailler corps et âme ! à nous de travailler par nous-mêmes, et sans le secours de nos anciens maîtres !

Il importe de remarquer qu’en ce point la mère Joséphine-Félicité diffère essentiellement de l’avis de la mère Christine-Sophie. La mère Christine-Sophie veut en effet travailler conjointement avec l’homme, tandis que la mère Joséphine-Félicité veut travailler toute seule. Elle insiste même là-dessus fortement ; puis, exhortant plus loin les femmes nouvelles à briser sans retour avec l’homme, elle leur promet qu’en s’éloignant de lui, elles seront bien dédommagées des plaisirs mesquins qu’il leur offre.

Je ne nie point que ce mode d’affranchissement, proposé par la mère Joséphine-Félicité, ne soit le plus complet de tous. Je doute fort ce-