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ayant sous la main toutes les ressources de dépenses à l’âge des passions et dans une époque licencieuse, il se rend ce témoignage de n’en avoir jamais abusé. Vers dix-huit ans, pour la première fois, l’idée de vers, odes, chansons et comédies, se glissa dans sa tête : il est à croire que cela lui vint à l’occasion des pièces de théâtre auxquelles il assistait. La comédie fut son premier rêve. Il en avait même ébauché une, intitulée les Hermaphrodites, dans laquelle il raillait les hommes fats et efféminés, les femmes ambitieuses et intrigantes. Mais ayant lu avec soin Molière, il renonça, par respect pour ce grand maître, à un genre d’une si accablante difficulté. Molière et Lafontaine faisaient sa perpétuelle étude ; il savourait leurs moindres détails d’observation, de vers, de style, et arrivait par eux à se deviner, à se sentir. Ainsi, en renonçant au théâtre, dès vingt ans, il se dit : « Tu es un homme de style, toi, et non dramatique. » On verra pourtant qu’il garda jusqu’au bout et introduisit dans sa chanson quelque chose de la forme du drame. Le théâtre mis de côté, la satire qui lui traversa l’esprit un moment, repoussée comme acre et odieuse, il prit une grande et solennelle détermination : c’était de composer un poème épique, un Clovis. Il devait en préparer à loisir les matériaux, approfondir les caractères des personnages, de Clotilde, de saint Remy, mûrir les combinaisons principales : quant à l’exécution proprement dite, il l’ajournait jusqu’à trente ans. Cependant des malheurs privés, déjà survenus, contrastaient amèrement avec les grandioses perspectives du jeune homme. Après dix-huit mois environ de pleine prospérité, Béranger avait connu le dénûment et la misère. Il y eut là pour lui quelques années de rude épreuve. Il songea un moment à la vie active, aux voyages, à l’expatriation sur la terre d’Égypte, qui n’était pas abandonnée encore : un membre de la grande expédition, qui en était revenu deux ans auparavant, le détourna de cette idée. La jeunesse pourtant, cette puissance d’illusion et de tendresse dont elle est douée, cette gaieté naturelle qui en formait alors le plus bel apanage et dont notre poète avait reçu du ciel une si heureuse mesure, toutes ces ressources intérieures triomphèrent, et la période nécessiteuse qu’il traversait, brilla bientôt à ses