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ville à une distance assez considérable ; mais à Montevidéo, sur la rive opposée de la Plata, on en tue assez souvent dans les environs de cette place, et jusque dans son enceinte. En 1829, deux de ces animaux traversèrent de nuit la baie à la nage, et entrèrent en ville dans la cour d’une barraca[1], où on les trouva le lendemain, honteux en quelque sorte, et cherchant à se cacher. Ils se laissèrent tuer sans résistance. J’en vis un en 1826, de la plus grande taille, attaché à un poteau sur la grande place de la Colonia del Sacramento, et qui, avait été pris d’une façon assez singulière. Des femmes se rendant le matin à leurs travaux dans la campagne, l’une d’elles s’approcha d’une petite maison déserte, dont la porte était fermée, mais dont les fenêtres à hauteur d’appui, étaient à moitié détruites. En jetant un coup-d’œil dans l’intérieur, elle aperçut un jaguar qui y avait pénétré, et qui, ne retrouvant plus l’ouverture qui lui avait donné passage, tournait autour de la pièce unique que renfermait cette masure. Aux cris qu’elle poussa, des gauchos du voisinage accoururent, et au moyen de leurs lazos, parvinrent à s’emparer de l’animal qu’ils conduisirent en ville, où on le donna sur la place en spectacle aux habitans. Lorsque je le vis, il y avait huit jours qu’il endurait la faim sans que sa férocité fût moindre que le premier jour. Les bonds qu’il faisait de toute la longueur de la courroie en cuir, à laquelle il était attaché, firent craindre à la fin qu’il ne parvînt à la rompre, et pour éviter les accidens, les autorités donnèrent l’ordre de le tuer.

Quelques gauchos de Buenos-Ayres, principalement dans la province de Santa-Fé, se livrent à la chasse du jaguar, et certains d’entre eux en font leur occupation habituelle. J’ai même connu des femmes qui ne craignaient pas de se livrer à cet exercice. Ces chasseurs se servent de meutes de chiens de moyenne taille et dressés pour cet usage. Le jaguar, poursuivi et mis hors de lui-même par leurs aboiemens, finit par s’arrêter au pied d’un arbre où il joue des pattes comme un chat, et manque rarement d’éventrer d’un seul coup ceux de ses ennemis qu’il peut atteindre. Le plus souvent il grimpe sur l’arbre même d’où le chasseur le fait tomber à coups de fusil. Les plus intrépides gauchos ne craignent pas de le poursuivre sans autres armes que le lazo, qu’ils lui lancent au cou à l’instant où il va se précipiter sur eux. Le cheval part aussitôt au galop en entraînant l’animal étranglé. Il arrive néammoins de temps en temps que ces chasseurs sont victimes de leur témérité, lorsqu’ils ne devancent pas le jaguar, dont le premier bond est inévitable, et qui, loin de craindre le coup de fusil, s’élance au feu de

  1. Établissement où l’on conserve les cuirs.