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MOEURS DES JAGUARS.

Le couguar est partout plus commun que le jaguar, et passe, dans la Guyane, où il est connu sous le nom de tigre rouge, pour plus féroce que ce dernier. L’opinion contraire prédomine à Buenos-Ayres, et je crois avec plus de raison, car je n’ai nulle part ouï dire que cette espèce ait jamais attaqué l’homme. Elle fuit constamment devant lui, et ne cherche que rarement à surprendre le bétail. Les plaines, les savanes, sont les lieux qu’elle habite de préférence, et elle approche souvent des habitations pour s’emparer des chiens, des volailles et autres animaux domestiques de petite taille. On l’apprivoise facilement, et elle suit alors son maître comme un chien. J’en ai vu pendant long-temps à Buenos-Ayres, un bel individu qu’un enfant conduisait en lesse avec un ruban, jusque sur les promenades publiques, et qui ne donnait aucun signe de férocité. Le jaguar, au contraire, n’offre jamais une sûreté complète, et son caractère primitif reprend tôt ou tard le dessus au moment où on s’y attend le moins. Je pourrais en ciier de nombreux exemples. Une mulâtresse de Corrientés, sur les bords du Parana, avait, depuis deux ans, un jaguar qu’elle avait reçu à l’époque où il tétait encore, et qu’elle avait élevé avec soin. Cet animal, arrivé à son dernier degré de croissance, vivait en liberté avec elle et la suivait partout avec la plus grande soumission. Un jour qu’elle lavait du linge sur les bords de la rivière, avec son jaguar étendu à ses côtés, celui-ci, sans aucun motif apparent, sauta sur elle et la tua, puis revint tranquillement à la maison, sans toucher à sa victime. On fut obligé de le mettre à mort pour prévenir le retour d’un pareil accident. J’ai vu un autre exemple du même genre, mais moins tragique, sur une habitation du Brésil où l’on élevait un de ces animaux en le laissant jouir de sa liberté ; il avait d’abord paru très-doux et inoffensif ; mais à l’âge d’un an, il commença à faire la guerre aux volailles et en tua plusieurs, ce qui le fit mettre à la chaîne. Là, il étrangla un jour un jeune tapir, avec lequel il avait coutume de jouer, et qui avait été le trouver dans sa niche. Quelques jours après, il s’élança sur une petite négresse de quatre ou cinq ans qui passait à sa portée, et lui avait déjà mis tout le corps en sang, lorsqu’on accourut la tirer de ses griffes. Ce dernier trait le fit mettre à mort. Un moyen puissant d’affaiblir ce caractère sanguinaire, et qui n’a jamais été pratiqué, à ma connaissance, serait la castration. Jointe à de bons traitemens continus elle produirait certainement le même effet que sur nos chats domestiques. Les jaguars qu’on a vus, à Paris et à Londres, jouer familièrement avec leurs gardiens, ne prouvaient par-là que leur habitude de voir ces derniers et d’en recevoir leur nourriture : reste à savoir s’ils eussent été aussi doux envers le premier venu ; il est permis d’en douter. Ces exem-