Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 8.djvu/66

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
60
REVUE DES DEUX MONDES.

Je ne répugne qu’à l’oisiveté. — Voulez-vous venir avec moi tout à l’heure ? — Volontiers. — Achevons donc de dîner. »

Il ne m’en dit pas davantage. Nous finîmes notre repas en causant de choses indifférentes, et nous partîmes. C’est au faubourg Saint-Martin qu’il me conduisit. J’entrai après lui chez un tireur d’or. Il était à table avec sa femme, bonne et grosse mère de quarante ans, et leur fille, jolie blonde de dix-huit ans environ. On se leva obligeamment pour me recevoir, et l’on m’offrit du café. « Bourgeois, dit, après ces politesses, mon introducteur, voilà monsieur qui vous demande de l’ouvrage ; c’est un officier qui n’a pas d’argent de reste ; il a eu des malheurs ; enfin suffit ; il veut travailler, ce qui est très-bien, et j’en réponds. » Je serrai affectueusement la main à ce brave homme qui se portait caution pour quelqu’un qu’il avait deviné, mais qu’il ne connaissait pas. « Mais, répondit le maître tireur d’or, je ne sais pas à quoi je pourrais employer monsieur ; il n’a jamais été dans la partie, à ce que je crois ; et je pense, ajouta-t-il en regardant mes boutons timbrés d’une ancre, qu’il s’entendrait mieux à tirer sur une corde qu’à allonger un lingot. Cependant, si monsieur veut tourner la roue ! — Je tournerai la roue, monsieur, et je tâcherai de me figurer que c’est celle du gouvernail d’un vaisseau. — Je ne pourrai vous donner que quinze sous par jour. — Je suis à vous, monsieur. » Quinze sous, quand on n’a rien, c’est une fortune. Je soupirai tout en riant. « À demain donc, monsieur. On entre à sept heures à l’atelier. »

Je demeurais en haut de la rue de La Harpe ; il me fallait trois grands quarts d’heure pour aller chez mon patron ; je partis à six heures. Je mis de la coquetterie à ma toilette pour faire mon entrée. J’attachai mes épaulettes à mon habit, je ceignis mon épée : c’était fort ridicule, sans doute ; mais cela produisit un bon effet sur mes nouveaux camarades. Pas une plaisanterie, pas un mot grossier, pas une demande indiscrète, et cela tant que je restai à l’atelier du tireur d’or. Cette déférence, ce respect pour le malheur me touchèrent infiniment !

Me voilà tournant une roue, comme le chien de La Fontaine tournait la broche. La fonction était pénible, et je n’étais pas encore bien rétabli de ma longue maladie. Au bout de quelques