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nez. L’homme possède d’excellentes qualités, par exemple beaucoup d’argent, un jugement sain, et l’ambition de réunir en lui toutes les sottises de son temps ; de plus, il est amoureux de mon amie aux yeux verts, Julie Maxfield ; il la nomme sa Juliette et lui son Roméo, et il déclame et il soupire. — Et lord Maxfield le beau-frère, à qui Julie a été confiée par son mari, est l’Argus…

J’allais faire la remarque qu’Argus gardait une vache, lorsque la porte s’ouvrit largement ; et, à mon grand étonnement, mon vieil ami, le banquier Christian Gumpel entra, avec son sourire de satisfaction, et tenant son ventre de Sylène.


L’avertissement de Mathilde, de ne pas me choquer du nez de cet homme, était suffisamment fondé ; car, en m’embrassant, il faillit me crever un œil. Je ne veux pas dire du mal de ce nez ; au contraire, il était de la plus noble forme, et il autorisait fort mon ami à prendre le titre de marquis. On pouvait voir distinctement à son nez qu’il était de bonne noblesse, et qu’il descendait de cette antique famille séculaire avec qui jadis le bon Dieu lui-même avait fait alliance, sans crainte de déroger. Depuis ce temps, il est vrai, cette famille a un peu déchu, si fort même que depuis Charlemagne elle est obligée de pourvoir à sa subsistance par un commerce de billets de loterie et de vieilles culottes, sans toutefois rien perdre de l’orgueil que lui inspirent ses aïeux, et sans renoncer à l’espoir de rentrer dans ses biens ou de recevoir une indemnité d’émigrés, quand son vieux souverain légitime aura rempli la promesse avec laquelle il la mène par le nez depuis deux mille ans. C’est là peut être ce qui rend ce nez si long et si fourni. Ou ces longs nez sont-ils une sorte d’uniforme auquel le dieu Jéhovah reconnaît ses anciens gardes-du-corps, même quand ils ont déserté ? Le marquis Gumpelino était un de ces déserteurs, mais il portait toujours son uniforme très-brillant, et parsemé de petites croix et d’étoiles en rubis ; un cordon rouge en miniature, accompagné de beaucoup d’autres décorations.

— Voyez-vous, dit milady, c’est mon nez favori, et je ne connais pas de plus belle fleur sur la terre.

— Cette fleur, dit en grimaçant Gumpelino, je ne puis malheureusement la placer sur votre sein ; mais je vous en apporte une qui n’est pas moins précieuse et moins rare…

À ces mots, le marquis ouvrit un cornet de papier de soie, qu’il avait apporté, et en tira avec une soigneuse lenteur une magnifique tulipe.

À peine Mathilde eut-elle aperçu cette fleur, qu’elle se mit à crier de toutes ses forces : Meurtre ! meurtre ! voulez-vous m’égorger ? loin de