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naître à Francfort le baron Salomon Rotschild, et il savait m’apprécier. Lorsque le marquis lui dit que j’avais été collecteur de loterie, le baron répondit d’un air sérieux : Je suis moi-même quelque chose comme cela ; ne suis-je pas le grand collecteur de la loterie Rotschild ? Il ne sera pas dit qu’un collègue aura mangé à l’office, il se mettra près de moi ! — Et, aussi vrai que Dieu distribue les biens de ce monde, M. le docteur, je m’assis près de Salomon Rotschild, et il me traita tout comme son égal, tout familionnairement. — J’allai aussi à son fameux bal d’enfans, qui a été mis dans les gazettes. Que d’or, d’argent et de diamans, que d’ordres et d’étoiles ! L’ordre du Faucon, l’ordre de la Toison-d’Or, l’ordre du Lion, l’ordre de l’Aigle ; même un tout petit enfant, je vous le dis, un tout petit enfant portait l’ordre de l’Éléphant. Les enfans étaient habillés en rois, la couronne sur la tête ; mais il y avait un grand garçon habillé précisément comme Nathan Rotschild. Il faisait très-bien son personnage, les deux mains dans les poches de sa culotte, secouant son argent, branlant tristement la tête quand un des petits rois voulait lui emprunter quelque somme, et ne caressant que celui qui portait un habit blanc et une culotte rouge. Vrai Dieu ! le garçon jouait bien son rôle, surtout lorsqu’il soutenait le gros enfant habillé de satin blanc semé de lis d’or, et qu’il lui disait : Allons, conduis-toi bien pour qu’on ne te chasse pas, et que je ne perde pas mon argent ! Je vous assure, docteur, que c’était plaisir de les voir. Tout alla bien jusqu’au moment où on leur apporta des gâteaux ; alors ils se battirent pour avoir la meilleure part, ils s’arrachèrent leurs couronnes de la tête, crièrent, pleurèrent, et même quelques-uns…


Il n’est rien de plus ennuyeux sur la terre que la lecture d’un voyage en Italie, — si ce n’est l’ennui de l’écrire ; et l’auteur ne se rend supportable qu’en parlant le moins possible de l’Italie. J’ai bien peur cependant, tout en employant cet artifice, que le présent paragraphe ait peu d’attraits pour mes lecteurs. Mais, Dieu merci, une vielle organisée retentit sous mes croisées, et remplit l’air de joyeuses mélodies. Ma tête malade avait besoin de cet allègement, surtout au moment où j’ai à parler de ma visite au marquis Christophoro di Gumpelino. Je veux conter cette touchante histoire dans toute sa pureté.

Il était déjà tard quand j’arrivai à la demeure du marquis. Lorsque j’entrai, Hyacinthe était seul, et nettoyait les éperons d’argent de son maître, que j’apercevais, par la porte entr’ouverte, au fond de son cabinet, agenouillé devant un grand crucifix et une madone.