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LES BAINS DE LUCQUES.

trouvé mal. Les larmes ne sont venues qu’après ; alors j’ai pleuré trois heures.

La voix du petit homme tremblait en me contant cette histoire. Il tira solennellement de sa poche le petit paquet dont j’ai déjà parlé, développa le morceau de taffetas flétri, et me montra la quittance par laquelle Christian Henri Claude reconnaissait avoir reçu la somme de 50,000 marcs. Quand je mourrai, dit Hyacinthe la larme à l’œil, on mettra cette quittance dans mon tombeau ; et quand au jour du jugement dernier j’irai là-haut rendre compte de mes actions, je me présenterai cette quittance à la main devant le trône du Tout-Puissant ; et quand mon mauvais ange lira dans le livre éternel les méchantes actions que j’ai commises en ce monde, et que mon bon ange voudra lire mes belles actions, je dirai tranquillement : « Silence ! Je demande seulement si cette quittance est exacte ? N’est-ce pas la signature de Christian Henri Claude ? » Alors arrivera quelque petit ange qui dira qu’il connaît très bien l’écriture de Claudin, et qui racontera la mémorable histoire de mon trait de probité. Alors le Créateur de toutes choses, l’Éternel qui sait tout, se souviendra de toute cette histoire ; il me louera en présence du soleil, de la lune et des étoiles, et calculant tout de suite de tête, qu’en déduisant de mes péchés 50,000 marcs de bonnes actions, il me revient un solde à mon bénéfice, il me dira : « Hirsch, je te nomme ange de première classe, et tu pourras porter des ailes avec des plumes rouges et blanches ! »

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Je me rendis à la ville de Lucques pour voir Francesca et Mathilde qui, selon nos conventions, devaient s’y trouver depuis huit jours. J’allai à pied, le long des belles collines couvertes de bouquets d’arbres, où les oranges brillaient dans les profondeurs d’une sombre verdure, comme des étoiles sur le ciel de la nuit, et où des guirlandes de pampres s’étendaient en joyeux festons sur une longueur de plusieurs milles. Tout le pays semble un jardin ; il est paré comme le sont chez nous les sites qu’on voit sur la scène, et les paysans eux-mêmes ont l’air de ces personnages galans qui chantent, rient et folâtrent dans nos opéras. La population est pittoresque et idéale comme le pays lui-même ; chaque homme porte un caractère individuel sur ses traits, et il sait faire valoir sa personnalité dans son attitude, dans les plis de son manteau, et au besoin dans la manière dont il manie son couteau. En Allemagne, au contraire, les hommes sont effacés et uniformes ; quand ils sont douze rassemblés,