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savons plus que vous ne pensez ; et certainement si j’étais en Angleterre, je ne voudrais voir que des lords ; j’ai toujours fait partie en Amérique de la plus haute société, et si je voyageais, je voudrais qu’il en fût de même ailleurs. Ce n’est pas à dire que je ne vous allasse pas voir si j’étais à Londres, mais enfin votre mari n’est pas un lord, et je sais fort bien comment vous êtes traitée dans votre pays. »

« Il m’arrivait rarement de contredire de pareilles idées ; je trouvais plus commode et infiniment plus amusant de les laisser passer. Du reste j’y aurais perdu mon temps ; je ne me souviens pas d’avoir jamais rencontré un Américain qui ne pensât de bonne foi en savoir plus long que moi sur mon propre pays.

« Sur le sujet de la gloire nationale, je crois avoir subi plus que ma part d’allusions ; étant femme, je n’étais pas reçue à opposer des objections à leurs fanfaronnades. Une dame, ardente patriote, fit preuve un jour d’une grande délicatesse à mon égard ; car comme quelqu’un parlait de la Nouvelle-Orléans, elle l’interrompit en disant : « Je désire que vous ne parliez pas de la Nouvelle-Orléans ; » puis se tournant vers moi, elle ajouta avec une grande amabilité : « Il doit être si pénible pour vous d’entendre prononcer le nom de cette ville ! »

« Mais le sujet favori, le sujet constant, le sujet universel des railleries américaines, c’est notre stupide attachement pour les choses anciennes. S’ils avaient reçu du ciel une étincelle de ce qu’on appelle esprit, je suis persuadée qu’ils nous donneraient le surnom de ma grand’mère l’Angleterre, car le ton que prennent les jeunes gens en parlant d’une vieille femme tombée en enfance, est précisément celui que prennent les Américains en parlant de nous ; et c’est ainsi qu’ils se consolent de la nouveauté désolante de tout ce qui les entoure.

« — Je m’étonne toujours que vous ne soyez pas malades de rois, de chanceliers, d’archevêques, et de tout votre bagage de longues perruques et de vieilles broderies, » me disait un malin gentilhomme, avec un bâillement affecté ; « je proteste que les noms seuls de toutes ces choses suffisent pour m’endormir. »

« Il est amusant de voir combien leur semble flatteuse l’idée qu’ils sont plus modernes et plus avancés que l’Angleterre ; notre littérature classique, nos anciennes familles, nos nobles institutions, tout cela n’est à leurs yeux qu’un débris des siècles de ténèbres.

« J’eus un soir une longue conversation littéraire avec un gentilhomme de Cincinnati, qui passait pour un des hommes les plus éclairés et les plus savans de la ville. Ce qu’il y a de sûr du moins, c’est qu’il avait le sentiment de sa supériorité, et ne doutait en aucune manière de ses