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 « Tiens ! Vois, à ce cadran imprimé dans ma main,
« Une !… Douze !… As-tu lu la courte page entière ?
« Là, se brise sans fin le flot du genre humain !
« Elle est là ton heure dernière !

« Et je veux la sonner moi-même. — Un mardi soir
« Entendra mon clocher, au bourdon lourd qui pleure,
« Chanter, chanter pour toi, raidi sous le drap noir,
« L’heure qu’on dit la dernière heure ! » —

« Tais-toi, Follet Esprit, tais-toi ! — L’heure d’adieu, —
« Cet écueil redouté que n’évite personne, —
« Où l’âme palpitante échoue aux pieds de Dieu,
« Follet, n’importe qui la sonne ;

« Mais avant, mais avant, — oh ! laisse-moi compter
« À ton cadran fatal encor quelques années,
« Quelques-uns des momens, si prompts à nous quitter,
« Qu’on appelle heures fortunées !

« Heures de voluptés et d’extase et d’oubli,
« Où mon âme n’a plus d’oreilles pour la terre,
« Quand la Muse, le soir, brûle mon front pâli
« De son baiser de vierge austère ;

« Heures de paix, toujours douces au souvenir,
« Quand mes enfans, bercés sur leur mère qui joue,
« Essuient en leurs yeux bleus, trop prompts à se ternir,
« La larme qui fuit sur leur joue ;

« Ou, que mes bons amis, qui sont mon univers,
« Autour de mon foyer, leur journée achevée,
« Perdent pour moi leur veille à me causer de vers
« Et de gloire long-temps rêvée ! »

Dijon, 3 décembre 1829


Nous n’ajouterons plus que quelques vers tirés de la dernière pièce, qui semble avoir expiré sur la lèvre du poète comme une plainte errante :

Oui, la mort peut venir. – Dormir – rêver – n’importe !
Un vent m’a jeté là, qu’un autre vent m’emporte…
Oubli sur cette terre, et de l’autre côté
Mon ami, c’est ma vie et mon éternité !
Oubli ! car j’ai passé sans laisser une trace !
Oubli ! car pour ma fosse il faut si peu de place !
Comme l’oiseau qui cherche une graine au désert
Et, pour tromper sa faim, chante sur l’arbre vert,
Moi, j’ai souffert aussi : mais nul n’a lu mes plaintes,
Et mes chants au désert, ce sont des voix éteintes.
Pauvre, obscur, sans destin, dans la foule perdu,
Avec le flot vulgaire atome répandu,
Ainsi que tout mortel qui parmi nous chemine,
J’ai cueilli, j’ai porté ma couronne d’épine ;
Voilà tout ! – Et celui qui mesure le temps
A dit un jour : — Assez ! » — assez vécu ! – trente ans ! —