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La vie de Coppet lui devenait insupportable. Les querelles, sans cesse renaissantes, l’exaspéraient. D’ailleurs il savait que tant qu’il séjournerait près de madame de Staël, il serait toujours regardé comme le centre des mécontens et le moteur de toutes les intrigues. Il se retira donc en Allemagne, après avoir encore une fois accompagné à Paris madame de Staël, qui ne tarda pas à se faire exiler de nouveau. Ce fut à Weymar qu’il alla chercher un asile ; il y passa l’hiver de 1804, avec Goëthe, Schiller, Wieland, le célèbre historien Jean de Muller et une foule d’autres savans et poètes illustres que possédaient alors l’Allemagne : son ouvrage des religions l’occupa alors exclusivement. L’Allemagne était un peu changée depuis qu’il l’avait quittée pour la première fois. Il avait remarqué que les universités, allemandes, si turbulentes et si redoutées par les princes, étaient livrées à des idées plus chevaleresques que démagogiques ; mais dans cet esprit de la vieille chevalerie, dans ce goût de l’antique nationalité germaine, il s’aperçut qu’il se formait alors de grands germes de démagogie. Les princes, de leur côté, étaient combattus entre une certaine libéralité qu’ils avaient contractée dans le commerce des savans, et la crainte de la révolution française. Les savans eux-mêmes, qui avaient presque tous adopté les principes révolutionnaires, tenaient néanmoins à conserver la faveur des cours, et revenaient un peu sur les écrits pleins d’enthousiasme, que leur avaient inspirés les débuts de la liberté en France. La pensée qui avait dominé, dans les derniers temps, parmi les hommes instruits de l’Allemagne, c’était un respect profond pour la force et l’énergie, respect qui s’était reporté sur Robespierre et sur le comité de salut public, mais qu’on n’avouait pas hautement, et qu’on osait à peine indiquer dans quelques ouvrages. Les articles furibonds et insensés de Wieland dans le Mercure allemand, une mauvaise comédie du jeune Goëthe, intitulée le Citoyen général, quelques déclamations de cour, ne suffisaient pas pour combattre ce sentiment ; et Benjamin Constant jugea bientôt que la France révolutionnaire n’aurait pas grand’peine à s’emparer de l’Allemagne. En esprit qui voit loin et en homme sensé, il s’abstint donc de prendre part aux affaires politiques du pays, et vécut plus que jamais dans la retraite.

Je n’écris pas la vie de Benjamin Constant, et je n’ai pas dessein