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dix pas, que mes pieds accrochèrent les chaînes pendantes de notre célérifère, et que j’allai, avec un bruit horrible, rouler au milieu du chemin au bout duquel brillait mon étoile polaire. Cette chute dont le retentissement arriva jusqu’à Maurice, loin de l’arrêter, parut donner une nouvelle impulsion à la vélocité de sa course, car il sentait que maintenant il avait deux colères à redouter au lieu d’une. La malheureuse lanterne semblait un follet, tant elle s’éloignait rapidement, et tant elle sautait en s’éloignant ; j’avais perdu près d’une minute, tant à tomber qu’à me relever, et à tâter si je n’avais rien de rompu. Maurice, pendant ce temps, avait gagné du terrain ; je commençais à perdre l’espoir de le rattraper, j’étais maussade de ma chute, tout endolori du contact forcé que mes genoux et la pommette de ma joue gauche avaient eu avec le pavé ; je sentais la nécessité d’aller plus doucement, si je ne voulais m’exposer à un second accident du même genre. Toutes ces réflexions instantanées, cette honte, cette douleur, ce sang qui me portait à la tête, me firent sortir de mon caractère ; je m’arrêtai avec rage au milieu du chemin, frappant du pied, et jetant devant moi, d’une voix sonore, quoique émue, ces terribles paroles, qui étaient ma dernière ressource.

— Mais s… d… Maurice, attendez-moi donc.

Il paraît que le désespoir avait donné à cette courte, mais énergique injonction, un accent de menace qui résonna formidablement aux oreilles de Maurice, car il s’arrêta tout court ; et la lanterne passa de son état d’agitation à un état d’immobilité qui lui donna l’aspect d’une étoile fixe.

— Pardieu, lui dis-je, tout en me rapprochant de lui, et en étendant les mains et les pieds avec précaution devant moi, vous êtes un drôle de corps ; vous entendez que je tombe… un coup à fendre les pavés de votre village, et cela parce que je n’y vois pas, et vous ne vous en sauvez que plus vite avec la lanterne. Tenez, voyez, je lui montrais mon pantalon déchiré ; tenez, regardez, et je lui faisais voir ma joue éraflée : je me suis fait un mal horrible avec vos chaînes de célérifère que vous laissez traîner devant la porte de l’auberge, c’est inouï : on met des lampions au moins. Tenez, tenez, je suis beau, là !…

Maurice regarda toutes mes plaies, écouta toutes mes doléances,