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LAURETTE.

Pendant qu’elle priait, il prenait le bout de ses longs cheveux, et les baisait sans faire de bruit. Quand elle eut fini, elle fit un signe de croix en souriant avec l’air d’aller au paradis. Je vis qu’il faisait comme elle un signe de croix, mais comme s’il en avait honte. Au fait pour un homme, c’est singulier.

Elle se leva debout, l’embrassa et s’étendit la première dans son hamac, où il la jeta sans rien dire, comme on couche un enfant dans une balançoire. Il faisait une chaleur étouffante, elle se sentait bercée avec plaisir par le mouvement du navire, et paraissait déjà commencer à s’endormir. Ses petits pieds blancs étaient croisés et élevés au niveau de sa tête, et tout son corps enveloppé de sa longue chemise blanche. C’était un amour, quoi ! —

— Mon ami, dit-elle en dormant à moitié, n’avez-vous pas sommeil ? Il est bien tard, sais-tu ?

Il restait toujours le front sur ses mains, sans répondre. Cela l’inquiéta un peu, la bonne petite, et elle passa sa jolie tête hors du hamac, comme un oiseau hors de son nid, et le regarda la bouche entrouverte, n’osant plus parler.

Enfin, il lui dit : — Eh ! ma chère Laure, à mesure que nous avançons vers l’Amérique, je ne puis m’empêcher de devenir plus triste. Je ne sais pourquoi il me paraît que le temps le plus heureux de notre vie aura été celui de la traversée.

— Cela me semble aussi, dit-elle, je voudrais n’arriver jamais.

Il la regarda, en joignant les mains avec un transport que vous ne pouvez pas vous figurer.

— Et cependant, mon ange, vous pleurez toujours en priant Dieu, dit-il, cela m’afflige beaucoup, parce que je sais bien ceux à qui vous pensez, et je crois que vous avez regret de ce que vous avez fait.

— Moi, du regret, dit-elle avec un air bien peiné, moi ! du regret de t’avoir suivi, mon ami ! crois-tu que pour t’avoir appartenu si peu, je t’aie moins aimé ? N’est-on pas une femme, ne sait-on pas ses devoirs, à dix-sept ans ? Ma mère et mes sœurs n’ont-elles pas dit que c’était mon devoir de vous suivre à la Guiane ? n’ont-elles pas dit que je ne faisais là rien de surprenant ? Je m’étonne seulement que vous en ayez été touché, mon ami ; tout cela est naturel. Et à présent je ne sais comment vous pouvez croire que je regrette