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REVUE DES DEUX MONDES.

— Ô mon Dieu si ! les couplets n’étaient même pas trop bons. J’ai été arrêté le 15 fructidor et conduit à la Force, jugé le 16 et condamné à mort d’abord, et puis à la déportation par bienveillance.

— C’est drôle, dis-je. Les Directeurs sont des camarades bien susceptibles, car cette lettre que vous savez, me donne l’ordre de vous fusiller.

Il ne répondit pas et sourit en faisant une assez bonne contenance pour un jeune homme de dix-neuf ans. Il regarda seulement sa femme et s’essuya le front, d’où tombaient des gouttes de sueur. J’en avais autant au moins sur la figure, moi, et d’autres gouttes aux yeux.

Je repris :

— Il paraît que ces citoyens-là n’ont pas voulu faire votre affaire sur terre, ils ont pensé qu’ici ça ne paraîtrait pas tant. Mais pour moi c’est très triste ! car vous avez beau être un bon enfant, je ne peux pas m’en dispenser, l’arrêt de mort est là en règle, et l’ordre d’exécution signé, paraphé, scellé ; il n’y manque rien.

Il me salua très poliment en rougissant : — Je ne demande rien, capitaine, dit-il avec une voix aussi douce que de coutume, je serais désolé de vous faire manquer à vos devoirs. Je voudrais seulement parler un peu à Laurette et vous prier de la protéger dans le cas où elle me survivrait, ce que je ne crois pas.

— Oh ! pour cela, c’est juste, lui dis-je, mon garçon, si cela ne vous déplaît pas, je la conduirai à sa famille à mon retour en France, et je ne la quitterai que quand elle ne voudra plus me voir. Mais, à mon sens, vous pouvez vous flatter qu’elle ne reviendra pas de ce coup-là, pauvre petite femme !

— Il me prit les deux mains, les serra et me dit :

— Mon brave capitaine, vous souffrez plus que moi de ce qui vous reste à faire. Je le sens bien ; mais qu’y pouvons-nous ? Je compte sur vous pour lui conserver le peu qui m’appartient, pour la protéger, pour veiller à ce qu’elle reçoive ce que sa vieille mère pourrait lui laisser, n’est-ce pas ? pour garantir sa vie, son honneur, n’est-ce pas ? et aussi pour qu’on ménage toujours sa santé. — Tenez, ajouta-t-il plus bas, j’ai à vous dire qu’elle est très délicate, elle a souvent la poitrine affectée jusqu’à s’évanouir plusieurs fois par jour. Il faut