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et scientifique ; une réprobation populaire et religieuse s’attacherait au nom des coupables : ils seraient mis au ban de la nationalité allemande.

Il n’y a donc que la France, où le vandalisme règne seul et sans frein. Après avoir passé deux siècles et puis quinze ans à déshonorer par d’impures et grotesques additions nos vieux monumens, le voilà qui reprend ses allures terroristes et qui se vautre dans la destruction. On dirait qu’il prévoit sa déchéance prochaine, tant il se hâte de renverser tout ce qui tombe sous son ignoble main. On tremble à la seule pensée de ce que chaque jour il mine, balaie ou défigure. Le vieux sol de la patrie, surchargé comme il l’était des créations les plus merveilleuses de l’imagination et de la foi, devient chaque jour plus nu, plus uniforme, plus pelé. On n’épargne rien : la hache dévastatrice atteint également les forêts et les églises, les châteaux et les hôtels de ville ; on dirait une terre conquise d’où des envahisseurs barbares veulent effacer jusqu’aux dernières traces des générations qui l’ont habitée. On dirait qu’ils veulent se persuader que le monde est né d’hier et qu’il doit finir demain, tant ils ont hâte d’anéantir tout ce qui semble dépasser une vie d’homme. On ne sait pas même respecter les ruines qu’on a faites, et tandis qu’on cite en Angleterre des seigneurs qui dépensent, chaque année, un revenu considérable pour préserver celles qui se trouvent sur leur domaine ; tandis qu’en Allemagne d’innombrables populations choisissent les décombres des vieux châteaux pour y tenir leurs assemblées libérales, comme pour mettre leur liberté renaissante sous la protection des anciens jours ; chez nous, nous ne laissons pas même le temps accomplir son œuvre, nous refusons à la nature son deuil de mère. Car la nature, toujours douce et aimante, l’est surtout envers les ruines que l’homme a faites ; elle semble se plaire à les orner de ses plus belles parures, comme pour les consoler de leur abandon et de leur nudité. Et nous, nous leur arrachons leur linceul de verdure, leur couronne de fleurs ; nous violons ces tombeaux des siècles passés. L’ancien seigneur les met à l’encan et les vend au plus offrant : le nouveau bourgeois les achète, et s’il ne daigne pas leur donner une place dans ses constructions nouvelles, il les recrépit et les enjolive sur place. Tous deux se coalisent pour déshonorer ces vieilles pierres.

Les longs souvenirs font les grands peuples. La mémoire du passé ne devient importune que lorsque la conscience du présent est honteuse. Ce sera dans nos annales une bien triste page, que ce divorce prononcé contre tout ce que nos pères nous ont laissé pour nous rappeler leurs mœurs, leurs affections, leurs croyances. Rien de plus naturel que ce divorce dans le premier moment de la réaction populaire contre l’ancien ordre social et politique ; mais y persévérer après la victoire, y persévérer avec