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DU VANDALISME EN FRANCE.

son usage primitif, et il serait encore admirable de pureté et d’élévation, si les vandales, non contens d’en avoir brisé tous les vitraux, ne l’avaient encore couvert, depuis la voûte jusqu’au pavé, d’un plâtras tellement épais, tellement copieux, qu’il est, je vous assure, fort difficile de distinguer la forme des pleins-cintres des galeries supérieures. On est aveuglé par la blancheur éblouissante de ce plâtras ; il a été appliqué pendant la restauration. Les seuls débris du Cimetière des Rois, les quatre statues inappréciables de Henri ii d’Angleterre, de sa femme Éléonore de Guienne, de Richard Cœur-de-Lion, et d’Isabelle, femme de Jean-sans-Terre, gisent dans une sorte de trou voisin. La fameuse tour d’Evrault, malgré tous les efforts des antiquaires du pays pour la faire respecter en considération de son origine païenne, a été livrée aux batteurs de chanvre ; la poussière a confondu tous les ornemens et tous les contours de son intérieur en une seule masse noirâtre ; et sa voûte octogone, qui offre des particularités de construction unique, ne peut manquer de s’écrouler bientôt, grâce à l’ébranlement perpétuel que produit cette opération.

À Avignon, la ville papale, la ville aux mille clochers, la ville sonnante, comme l’appelait Rabelais, on voyait d’innombrables monumens de l’influence du saint-siège sur l’art, dans un temps où l’art était exclusivement catholique, à la différence de Rome où, par une anomalie déplorable, aucun édifice remarquable ne porte l’empreinte des siècles où la foi faisait surgir sur tout le sol chrétien ces merveilles d’architecture dont le christianisme seul avait inventé les formes et les détails profondément symboliques. De tous ces monumens, le plus rare était, à coup sûr le palais des Papes, habité par tous ceux qui passèrent le quatorzième siècle en France. Je ne pense pas qu’il existe en Europe un débris plus vaste, plus complet et plus imposant de l’architecture civile ou féodale du moyen âge. Le voyageur, qui, arrivant par le Rhône, aperçoit de loin, sur son rocher, ce groupe de tours, liées entre elles par de colossales arcades, à côté de l’illustre cathédrale, est saisi de respect. Je n’ai vu nulle part l’ogive jetée avec plus de hardiesse. On dirait les gerbes d’un feu d’artifice lancées en l’air et retenues, avant de tomber, par une main toute puissante. On ne saurait concevoir un ensemble plus beau dans sa simplicité, plus grandiose dans sa conception. C’est bien la papauté tout entière, debout, sublime, immortelle, étendant son ombre majestueuse sur le fleuve des nations et des siècles qui roule à ses pieds.

Eh bien ! ce palais n’a pas trouvé grâce devant les royaux protecteurs de l’art en France. L’œuvre de destruction a été commencé par Louis xiv ; après qu’il eut confisqué le comtat Venaissin sur son légitime possesseur, il fit abattre la grande tour du palais pontifical, qui dominait les fortifica-