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aussi en très grand nombre. — À six heures du soir, notre voiture ayant eu quelque chose de brisé, versa, mais sans blesser personne. C’était heureusement dans un bois. Comme on voyage toujours avec une hache, des clous et des cordes, en cas d’accidens de ce genre, pendant que les uns contenaient nos quatre chevaux presque indomptés, que les mouches excitaient encore, les autres coupèrent deux arbres et les fixèrent parallèlement, en guise de ressorts, sous la caisse de la voiture. Cette substitution de ressorts de nouvelle espèce n’était pas des plus douces sur la détestable route que nous suivions. — Au milieu de la nuit, parcourant un chemin fort peu solide, fait avec des arbres posés les uns près des autres sur un marais, entourés d’eau de tous côtés, menacés de rester à chaque instant dans la vase, nous vîmes tout à coup, sur notre droite, briller deux yeux dans l’épaisseur du bois. Nous nous arrêtâmes, les chevaux hennirent, le cocher fit claquer son fouet ; les yeux disparurent en silence pour revenir briller plus loin : c’était sans doute une panthère ou un loup. Ces animaux sont très communs dans l’état d’Illinois, ainsi que les chats sauvages, les opossums, les ours, les cerfs et les chevaux sauvages. Ceux-ci sont généralement petits, mais bien formés et pleins de feu. On les dresse facilement ; ce sont les Français du pays qui se chargent de les prendre et de les dompter, et ils ont presque le monopole de cette industrie : ils les vendent habituellement de 100 à 200 francs. Les Indiens font un grand usage de ces chevaux ; c’est pour cela sans doute qu’on les appelle indian ponies.

Nous arrivâmes le troisième jour, à dix heures du matin, à Vincennes où l’on voit encore des restes des fortifications élevées par les Français, et nous repartîmes à deux heures. En général, on voyage d’une manière très fatigante dans l’Illinois et l’Indiana : outre que les routes sont mauvaises, les chevaux qu’on emploie, étant presque sauvages, vont toujours au galop, jusqu’à ce qu’ils soient harassés. À cinq heures, nous traversâmes en bac le White River (rivière blanche), et à neuf, nous prîmes au village de Washington un petit cocher vif, hardi, entre deux vins (comme c’est presque toujours le cas dans l’ouest de l’Amérique), qui semblait, avec sa voiture et ses chevaux au galop, n’ayant pour éclairer sa marche dans cette nuit profonde qu’une lanterne pâlissante, pour-