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guère que des approbations sérieuses. — Si pour satisfaire ce besoin de raison qui domine et gouverne nos impressions, si pour fermer la bouche aux récriminations du cerveau, qui gourmande les yeux et le cœur, le peintre essaie sur la toile un drame complexe, il peut lui arriver de dépasser les limites de son art, et d’exiger de sa palette une obéissance et une souplesse qui n’appartiennent qu’à la parole. La main la plus habile ne peut rivaliser avec les lèvres. Il faut qu’elle restreigne sa volonté dans un cercle beaucoup plus étroit, sous peine de voir sa pensée, malgré les efforts les plus patiens, n’arriver sur la toile que boiteuse et mutilée. — Si je ne dis rien des peintres qui veulent réduire la peinture à la copie de la réalité, c’est que leur avis ne compte pas, c’est qu’ils ne soupçonnent pas le sens de leur art.

Le paysage est aussi en travail de renouvellement, et commence à comprendre qu’il ne s’est pas régénéré, comme il l’espérait d’abord, en empruntant à la dernière école anglaise sa couleur éclatante et l’effet saisissant de ses lignes et de ses plans, disposés avec une adresse merveilleuse, mais trop intelligible et trop semblable à elle-même dans les artifices qu’elle emploie. Il lui a pris tout ce qu’il pouvait lui prendre, c’est-à-dire le mécanisme extérieur de sa méthode. Mais il n’a pu lui dérober la partie intime et personnelle de son talent, il n’a pu apprendre d’elle ce qui ne s’enseigne à personne, ni par personne, l’interprétation de la réalité. Et puis, après le premier éblouissement d’une admiration naïve, l’esprit judicieux des jeunes artistes de France ne s’est pas refusé à reconnaître que la dernière école anglaise sacrifie trop souvent le charme à la séduction, la beauté profonde à l’attrait passager. — Alors ils se sont mis à reculer dans le passé ; ils sont entrés hardiment dans les écoles flamande et hollandaise ; ils n’ont regretté, Dieu merci, ni leur temps ni leurs efforts, et ils ne les ont pas perdus ; ils ont acquis dans ce nouvel apprentissage des secrets que l’Angleterre n’aurait pas su leur révéler, l’exquise finesse de détails, la simplicité de composition, la sobriété des effets. — Mais la grandeur, où la trouver ? Les plus modestes et les plus persévérans ont prononcé sans hésitation deux noms que l’ingratitude et l’ignorance voulaient oublier et proscrire, Claude Gelée et Nicolas Poussin, deux grands poètes épiques, qui se placent par la sublimité de leurs conceptions, par la