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Mon intention, on le devine, n’est pas de ravaler le beau poème que j’ai cité jusqu’à la toile mesquine, prosaïque et ridicule que nous avons maintenant sous les yeux. À Dieu ne plaise ! seulement, puisqu’il n’y a pas de loi qui défende au talent superficiel et frivole de profaner les grandes choses ; puisqu’il est permis à M. Horace Vernet d’écrire sur la toile, sous prétexte de peinture, de petites comédies qui violent la majesté de l’histoire, la critique n’a contre lui qu’un recours, c’est de placer ses œuvres vides face à face avec les œuvres pleines de ses contemporains. Il peut continuer encore, pendant plusieurs années, ce travestissement douloureux de nos annales ; mais nous n’abandonnerons pas le droit de dire publiquement qu’il les travestit : s’il persiste dans sa faute, nous persisterons dans notre inflexible franchise.

Ces réflexions que je donne pour sincères, et qui, malgré leur apparente sévérité, sont loin de contenir toute ma pensée, contredisent, je le sais, l’opinion générale ; une lecture superficielle et hâtée pourra les prendre pour un dédain systématique et concerté ; il y aura même, je n’en doute pas, des gens de très bonne foi qui s’écrieront qu’ayant à choisir entre une vérité simple, accessible à tous, et un paradoxe bizarre, singulier, presque périlleux (c’est du péril de ridicule que j’entends parler, et en France c’est un péril immense), j’ai préféré le dernier parti, pour appeler l’attention, et donner à la critique un intérêt plus animé.

À ceux qui jugent de la sorte, quels qu’ils soient, je répondrai comme font en pareille occasion les hommes sérieux, par le silence. Je ne prendrai pas la peine de me disculper : je ne crois pas que la franchise ait besoin d’excuse. Mais comme, dans les sociétés les plus avancées, les hommes qui pensent par eux-mêmes ne sont jamais en majorité, parmi les doutes que j’éveillerai, il y en aura peut-être de sincères, et qui demanderont pourquoi pendant quinze ans, sur la foi de quelques louangeurs officieux, ils ont cru à la suprématie pittoresque d’Horace Vernet ; pourquoi ceux qui font profession de goût et de sagacité leur ont imposé un axiôme ainsi conçu : « L’auteur de Mont-Mirail est le premier peintre de notre époque. »

C’est à ces croyances de seconde main que je m’adresse, c’est à elles que je veux tâcher d’expliquer le sens, l’origine et la valeur de