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de l’individu ou de l’espèce, tende à causer sa mort ou la destruction de sa progéniture, on est presque certain que cet acte est dû à l’instinct qui est une impulsion aveugle : les actes dus à l’intelligence, au contraire, se modifient plus ou moins heureusement pour se plier aux nouvelles exigences, et le même but est atteint par un chemin différent.

Tout le monde sait ce qui se passe lorsqu’on retourne bout pour bout dans leur cocon les chrysalides de certains papillons, de manière à ce que leur tête se trouve du côté opposé à l’issue que la chenille avait ménagée en fabriquant sa prison : quand vient le temps de la dernière métamorphose, l’animal, qui n’a plus la porte devant lui, s’obstine à vouloir passer à travers la muraille et meurt à la peine. Pareille chose n’arriverait pas à un être chez lequel il y aurait à la fois intelligence et instinct.

Les dispositions par lesquelles la chenille pourvoit à sa sûreté pour le temps où elle sera sous forme de chrysalide peuvent être rapprochées de celles que certains rongeurs, et notamment les marmottes, prennent pour leur sommeil d’hiver. Dans un cas comme dans l’autre, l’animal est poussé par une impulsion irrésistible et irréfléchie à se fabriquer une retraite, et la jeune marmotte de l’année ne sait pas plus ce que doit être l’hiver que la chenille ne sait ce que sera son état futur, sa vie de papillon. Mais voilà où s’arrête la ressemblance, et la marmotte, tout en ignorant le but de ses préparatifs, fait usage de son intelligence pour les diverses parties de son travail. Que les circonstances la contrarient, pourvu qu’elle conserve un peu de liberté, elle trouvera des ressources ; c’est ce que le fait suivant met bien en évidence.

M. Bonnafous, de Genève, désirant faire, pendant l’hiver de 1830, des expériences sur l’hibernation, se procura quatre marmottes qu’il exposa à une température de 10 degrés au-dessous de 0. Il se trouva que ce froid, qui n’avait pas été amené graduellement, produisait sur les quatre animaux une impression assez douloureuse pour empêcher le sommeil de survenir. La température en conséquence fut un peu élevée, et trois des marmottes s’endormirent. La quatrième, qui était la plus vive de toutes, disparut, et ce fut en vain qu’on la chercha dans tout le voisinage.

Quinze jours s’étaient écoulés depuis l’évasion de la marmotte, lorsqu’une domestique que M. Bonnafous avait envoyé chercher quelque chose dans un caveau très profond, remonta tout effrayée, en criant que des voleurs s’étaient introduits dans le caveau, et en avaient fermé en dedans la porte. On se rendit sur les lieux en force, et la porte ne cédant pas malgré les sommations faites aux prétendus voleurs, on prit le parti de l’enfoncer.

Alors on reconnut que c’était la marmotte qui s’était emparée du ca-