Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 1.djvu/692

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
684
REVUE DES DEUX MONDES.

en soit venu pour attirer la foule, jusqu’à faire de nos opéras des concerts, et de nos concerts des opéras, qu’on nous donne un acte de l’un, un acte de l’autre, qu’on mutile Don Juan (Don Juan !), qu’on n’ait plus ni le sens commun ni l’envie de l’avoir, qu’avaient du moins nos pères, que les principes soient à tous les diables, et madame Malibran en Angleterre ? Il nous reste un galop, et du moment qu’on danse qu’importe sur quel air ? j’aime autant mes yeux que mes oreilles.

Vous croyez peut-être que c’est par fantaisie que l’opéra est à la mode ? pas du tout ; il y a une raison à tout ce qui se fait sous la lune, et la Providence sait pourquoi un siècle porte des habits carrés plutôt qu’un autre. C’est l’éternelle sagesse elle-même qui a mis le moyen âge en pantalon collant, et pas un atome de poudre à la Richelieu n’est tombé impunément sur la nuque de la régence. Avez-vous été au Gymnase depuis peu ? aux Variétés ? à la Porte-Saint-Martin ? Êtes-vous convaincu qu’on y bâille ? je ne vous demande si vous êtes allé aux Français, car il paraît qu’à la lueur de certaines lampes mal entretenues d’une huile épaisse, il se joue chaque jour sous une voûte déserte au coin du Palais-Royal une certaine quantité de drames ignorés. Mais pour tout dire en un mot, êtes-vous allé hier, irez-vous demain ailleurs qu’à l’Opéra ? Là est le siècle tout entier. Que nos musiciens apprennent à jouer des contredanses ; qu’ils songent à entourer ce divin spectacle de languissantes mélodies, de molles sérénades ; à ce prix, on veut encore de leurs efforts ; que nos poètes sachent amener une fête, une orgie ; qu’ils placent à propos dans leur cadre douze légères folies armées de leurs grelots ; qu’on y assassine un roi ou deux, si vous y tenez, mais que nous ayons des bals à la cour, et des galops.

À propos de galop, voilà le carnaval qui se meurt. C’est aujourd’hui la mi-carême, bien qu’il n’y ait plus de carême. N’y a-t-il pas eu quelque part des criailleries contre notre carnaval de cette année ? Il appartient à un pédant ennuyé de vivre, d’injurier des mascarades. À qui diable une mascarade a-t-elle jamais fait tort de sa vie ? On se plaint que les jeunes gens aillent aux Variétés ; je demande où l’on veut qu’ils aillent. Le faubourg Saint-Germain n’a pas donné un bal ; il ne s’y prend pas une glace, il ne s’y attèle pas quatre chevaux par jour. La Chaussée-d’Antin bâille fort aussi, quoiqu’on y attèle beaucoup et qu’on y mange de même. Pourquoi le jour du bal de l’Opéra, lorsque le directeur a voulu faire une tentative hardie et nouvelle, personne n’y a-t-il répondu ? Pourquoi ce jour-là comme les autres, pas une femme du monde n’a-t-elle osé prendre le masque ? je ne dis pas le domino ; ce vieil et insipide oripeau se promène depuis long-temps dans le désert. Mais on nous parle des mœurs de la régence ; en quoi les nôtres valent-elles mieux ?