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REVUE SCIENTIFIQUE.

dans les campagnes même il n’y a point homogénéité parfaite. Les cultivateurs qui vivent auprès des villes ont dû nécessairement emprunter quelque chose aux habitudes des citadins ; ceux au contraire qui ont leur demeure loin de la côte, qui souvent communiquent avec les Indiens et ont pris part à toute la licence d’une longue guerre de parti, doivent être plus ignorans que les autres et encore plus éloignés d’une véritable civilisation.

« Les habitans des campagnes de Rio-Grande, dit M. Auguste Saint-Hilaire, sont certainement très supérieurs à ces grossiers gauchos si bien peints par d’Azzara ; ils le sont même, il faut le dire, aux propriétaires aisés de la province cisplatine. Il y a quelque chose dans leurs manières qui rappelle d’une part notre bon fermier de la Beauce, et de l’autre le Bédouin ou le Tartare. Bien fait, robuste, brillant des couleurs de la santé, l’habitant de Rio-Grande n’est heureux que sur son cheval, il n’est heureux que lorsqu’il lance la boule ou le lacet contre une génisse sauvage ou un cheval fugitif, quand il châtre un taureau ; que, poussant des cris, il réunit ses troupeaux immenses, surtout lorsqu’il dépèce la vache qu’il vient d’égorger, et qu’il fixe ses regards sur les succulens morceaux dont il va faire un sauvage repas ; il ne veut point d’autres connaissances que celles qui appartiennent à sa profession de chasseur de bétail.

« Il a de la sagacité et de l’intelligence, mais il ne se fatigue point à les exercer ; l’autorité militaire est la seule qu’il se plaise à reconnaître. L’appareil des lois excite son mépris, et il aimerait mieux être mal jugé par son général, et l’être promptement, que de passer par de longues formalités pour arriver à un jugement équitable. Il se résigne au despotisme du milicien ou garde national qui se présente chez lui en uniforme pour lui enlever ses chevaux et son bétail, mais il veut qu’on se soumette également à son autorité lorsqu’il aura à son tour revêtu son uniforme. Hospitalier, mais insouciant et peu sensible, il souffre ses maux avec patience et voit ceux d’autrui sans beaucoup de compassion. « Sur mon cheval, dit-il avec orgueil, je n’ai plus besoin de rien ; j’emporte de quoi me faire un lit au milieu du désert et un bateau pour passer les fleuves. Sans sabre ni fusil, j’ai des armes pour me rendre maître des bestiaux dont je veux me nourrir, et avec moi galope ma batterie de cui-