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le succès couvre pour quelque temps la voix des faux prophètes qui s’en allaient publiant que la croyance est morte.

Beethoven est un de ces artistes, et certes s’il s’est obstiné dans cette route, c’est qu’il s’y sentait retenu par sa conscience ; car il est venu à une époque où la séduction aurait triomphé de tout autre que lui : Byron élevait son école de scepticisme et de désespoir en Angleterre, en France, en Italie, et Gœthe, que Beethoven aimait comme un frère, éclairait l’Allemagne de la splendeur de son nom.

La musique chrétienne, cette harmonie poétique et sainte qui élève l’âme en un monde spirituel, semble se résumer en Beethoven et finir avec lui. Suivez cet art dans ses progrès : d’abord plain-chant et cantique chez les premiers pères, il revêt aux quinzième et seizième siècles une forme instrumentale ; voici le luth et la viole et le théorbe qui se mêlent à l’orgue, l’orgue, synthèse harmonieuse ; l’orgue, cet orchestre de la cathédrale chrétienne ; l’orgue, d’où la note jaillit tantôt claire, limpide, aiguë comme la voix d’un enfant de chœur, tantôt s’exhale triste et lamentable comme celle de la veuve ou de l’orphelin ; l’orgue, mélange ravissant de toutes les voix, de toutes les passions, de toutes les âmes, qui chante en un même jour la joie, le bonheur, le recueillement et la mort. Il a des sons de fête pour l’enfant, des chants simples et divins pour la jeune fille qui s’agenouille aux pieds de l’autel, de lugubres et sombres mélodies pour le mort qu’on amène sous la nef, au bruit des cloches. Et que le cadavre arrive, environné d’une foule immense de parens, d’amis ou de cliens ; qu’il soit vêtu de soie ou de velours ; qu’il ait en tête la couronne de duc ou de baron, ou bien qu’il entre humble et petit, sans escorte, sans gloire et sans renom, n’importe, l’orgue chante toujours. Il n’augmentera pas sa plainte d’une voix pour le riche et le grand de la terre, il ne la diminuera pas d’un son pour le pauvre et l’infirme, car l’orgue, de même que le verbe d’où il est sorti, prêche l’égalité. Athènes et Rome, vous aviez aussi une musique pour la mort, musique sans caractère religieux, musique de joueurs de flûtes, qui venaient suivre les funérailles du riche patricien en sortant d’une orgie de courtisanes ; musique de pleureuses, qui vendaient leurs larmes aux morts quand elles ne pou-