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utile. Maintenant que le sort s’accomplisse. Je ne crains pas la mort ; au contraire, je la vois s’avancer avec espoir et confiance : seulement je redouble de zèle et d’efforts ; car il faut que, tandis qu’elle chemine et se dirige vers moi, je trouve le temps d’écrire tout ce que j’ai dans la tête ; alors je quitterai ce monde sans regret. — Adieu ! ne m’oubliez pas, un souvenir de vous, c’est la plus douce récompense qu’il me soit donné d’attendre, et je crois d’ailleurs l’avoir bien méritée, car pendant ma vie ma plus chère pensée était de vous rendre heureux. Ainsi soit-il. »


Ludwig van Beethoven.
Heiligenstadt, 6 octobre 1802.


Que de tristesse et pourtant que de calme et de résignation dans ces paroles ! Rien ne l’empêchait de se plaindre et de blasphémer ; il pouvait, lui aussi, monter sur un vaisseau, traverser l’océan, aller d’Angleterre en Italie, et d’Italie en Grèce, promener son rire amer sur la création, nier tout ce qui l’entourait, n’affirmer que sa personne ; pourquoi donc ne l’a-t-il pas fait ? il en avait le droit tout aussi bien que Byron, j’imagine. Ils souffraient tous les deux d’un mal irrémédiable, qui devait nécessairement les jeter en dehors de la société des hommes ; seulement en Beethoven le mal était physique, il était moral chez lord Byron ; l’un était sourd, l’autre égoïste ; et voilà ce qui fait que leurs lamentations n’ont point été les mêmes. Le poète anglais a voulu rendre Dieu et les hommes responsables d’un mal qui n’avait sa source que dans sa liberté. Beethoven, devenu infirme, a souffert sans se plaindre. Comparez, s’il vous plaît, l’attitude grave et sévère de Manzoni, de Silvio Pellico et de toute cette école dogmatique, aux jongleries des imitateurs de lord Byron. D’un côté, vous verrez des hommes naïfs, s’avouant artistes avec simplicité, heureux dans la famille, et pourtant dévoués à tous ; des hommes qui souffriront pendant dix ans le carcere duro pour la liberté de leur pays ; de l’autre ; des jeunes gens d’ailleurs remplis de talent, mais qui s’étudient à faire le mal, quand leur âme les porte au bien, et qui