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ne veulent pas même avouer ce que Alighieri demandait à Dieu : l’inspiration ; et que, dès que le calme leur revient à l’esprit, ils se torturent, afin d’altérer les choses pures et naïves qu’ils ont écrites dans les momens de spontanéité. Aussi cette école, qui naguère envahissait tout, les musées et les théâtres, aujourd’hui elle agonise déjà douloureusement, et tel doit être le sort de tout art qui n’affirme rien, et ne vit que de formes et de couleurs. Les teintes étranges et capricieuses qui nous ravissaient, il y a quelques années, toutes ces choses que nous trouvions si naïves avant d’avoir étudié la nature et les grands maîtres, que leur effet est autre ! Si nous les revoyons aujourd’hui que le temps les a éprouvées comme nous, le prestige est dissipé ; ces couleurs si riches, si éblouissantes, se sont évaporées, la forme ne nous absorbe plus, et nous voulons pénétrer dans le fond, nous voulons contempler directement et comme par intuition l’âme et le sentiment intime de l’œuvre ; mais, hélas ! nous n’y trouvons plus rien ; là où il n’y avait que matière, le temps a tout détruit, il ne reste plus qu’un squelette hideux, qui tombe en poussière. De l’œuvre morale s’exhale à travers le temps un parfum de candeur et de sérénité : les poèmes de Dante, les mélodies de Palestrina et d’Allegri, les tableaux d’Albert Dürer et de Rembrandt pourront vieillir un jour, mais ils vieilliront comme une douce et chaste vierge dont la peau blanche se fane, dont le cou s’incline, dont le regard pudique s’éteint. L’amour fera place à la vénération, tandis que l’œuvre toute physique, l’œuvre de forme qui n’existe, je le répète, que par des sons, des lignes ou des couleurs, périt tout entière, ou devient si laide avec le temps, que l’œil s’en détourne comme de la face décrépite d’une vieille courtisane.

Notre siècle est déjà homme, il est temps qu’il se décide : les malheureux essais qu’on a tentés pour faire revivre l’éclectisme, ont prouvé qu’il ne voulait pas se résigner à n’écrire que des manuels ou des compilations ; il faudra qu’il nie ou qu’il affirme, et à moins qu’il ne veuille refaire l’œuvre du dernier siècle, il affirmera. Depuis quelques années, à travers toute cette dissolution, on a pu remarquer des tendances vers un dogmatisme religieux ; et si un génie tel que Beethoven, imbu des idées nouvelles qui s’élaborent à Paris, surgissait tout à coup pour rallier à lui tous ces rayons qui