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IMPRESSIONS DE VOYAGES.

Cela leur inspire en général pour cette sorte d’allure une répugnance qu’ils sont parvenus à faire partager à leurs bêtes ; aussi la tête de la colonne, si emportée qu’elle paraisse être, ne tarde-t-elle pas à s’arrêter tout à coup, et à imposer successivement son immobilité à chaque individu, soit homme, soit animal, qui se trouve à sa suite. Puis toute la ligne se remet gravement en marche, s’alongeant au fur et à mesure que le mouvement se communique de sa tête à sa queue.

— Avec votre permission, dit le guide de Lamark, qui avait rejoint son mulet, et qui, de peur d’une nouvelle course, l’avait pris par la bride, sous prétexte que le chemin était mauvais, — ce n’est point par ici qu’est passé Napoléon, la route que nous suivons n’était point encore pratiquée ; c’est au flanc opposé de la montagne, et s’il faisait jour, vous verriez que c’étaient de rudes gaillards, ceux qui passaient là, avec des chevaux et des canons. — Tout le monde était de son avis, il n’y eut donc point de contestation.

— Messieurs, de la neige ; notre guide est prophète, dit l’un de nous.

En effet, comme nous montions depuis une demi-heure à peu près, le froid devenait de plus en plus vif, et ce qui dans la plaine tombait en pluie, ici tombait en glace.

— Ah ! pardieu, de la neige le 26 août, ce sera curieux à raconter à nos Parisiens : messieurs, je suis d’avis que nous descendions, et que nous nous battions avec des pelottes, en mémoire de Napoléon, qui a passé par ici…

Chacun se mit à rire du souvenir que lui rappelait cette parole sacramentelle ; quant au danger qu’elle pouvait rappeler en même temps, il était déjà complètement oublié.

— Avec votre permission, messieurs, je vous ai déjà dit que c’était sur l’autre route qu’avait passé Napoléon ; quant à ce qui est de vous battre avec des pelottes de neige, je ne vous le conseille pas. Cela vous ferait perdre du temps, et vous n’en avez pas de trop : songez que dans un quart d’heure vous n’y verrez plus, même à conduire vos mulets.

— Eh bien ! alors, mon brave, nos mulets nous conduiront.

— Et c’est ce que vous pouvez faire de mieux, de ne pas les contrarier ; Dieu a fait chaque chose l’une pour l’autre, voyez-