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DU THÉÂTRE ESPAGNOL.

lui, Lope conservera toujours l’honneur d’avoir fondé le théâtre moderne ; mais par des raisons de politique et de langage, plus que Shakespeare, il porta son influence chez les nations étrangères, et nous, Français, auxquels il a le plus prêté, nous devons répéter ce juste éloge de son illustre éditeur, lord Holland : « Si Lope de Vega n’eût point écrit, les chefs-d’œuvre de Corneille et de Molière n’auraient peut-être jamais existé ; et si nous ne connaissions pas leurs ouvrages, Lope passerait encore pour un des grands auteurs dramatiques de l’Europe. »

Douze ans avant la mort de Lope de Vega (1621), arriva celle de Philippe iii, et à ce monarque triste et dévot succéda un jeune prince ami des plaisirs et passionné pour le théâtre. Philippe iv aimait le commerce des gens de lettres, les recevait à la cour, et s’amusait à jouer avec eux ces comédies improvisées, alors fort à la mode en Italie. On lui attribue même plusieurs ouvrages dramatiques qui furent représentés sous le nom d’un esprit de cette cour (por un ingenio de esta corte), entre autres la passable comédie intitulée Donner la vie pour sa dame. Cette circonstance accrut encore le mouvement imprimé par Lope de Vega, et amena la plus brillante époque du théâtre espagnol. Une foule d’auteurs s’étaient, de son vivant, jetés sur les traces du maître, tels que les docteurs Ramon et Mira de Mescua, le licencié Miguel Sanchez, le chanoine Tarraga, don Guillen de Castro, Aguilar, Luis Vêlez de Guevara, et cent autres ; mais tous l’imitaient et restaient loin de lui. Ce ne fut qu’à la fin de son règne que parut le rival qui devait le détrôner : Calderon de la Barca.

Avec une imagination moins vaste, mais plus flexible et mieux réglée, une fécondité presque aussi prodigieuse, un talent égal, sinon de poète, au moins de versificateur, Calderon, guidé par les succès et par les défauts de Lope de Vega, put le vaincre et presque le faire oublier. Dans les autos sacramentales, ou drames religieux, dans ces pièces représentées aux fêtes solennelles, sous la protection de l’autorité, en présence de tout le peuple, et qui, par ces raisons, donnaient à l’auteur plus de gloire et de profit qu’aucune autre, Calderon passa tous ses devanciers et ne fut égalé par aucun de ses successeurs. Sa réputation et son mérite en ce genre furent si grands, et sa supériorité si incontestable, qu’il oblint, par lettres