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DU THÉÂTRE ESPAGNOL.

d’être original après Sophocle, Sénèque, Corneille, Voltaire, Lamothe et Dryden.

Il me reste à rattacher maintenant l’histoire du théâtre espagnol à celle de notre propre théâtre. Je crois inutile, non de prouver, mais seulement d’énoncer que le premier exerça sur l’autre la plus grande et la plus heureuse influence ; ce n’est pas matière à controverse. Mais il est intéressant de rechercher jusqu’où s’étendit cette influence, et comment elle s’exerça.

« Aucun auteur espagnol, a dit Voltaire, n’a traduit ni imité aucun auteur français jusqu’au règne de Philippe v ; nous, au contraire, depuis le temps de Louis xiii et de Louis xiv, nous avons pris aux Espagnols plus de quarante compositions dramatiques. » Avant Corneille, la scène française avait pour toutes richesses les essais tragiques de Jodelle, de Hardy, de Mairet, et quelques farces italiennes jouées sur les trétaux à la foire ; tandis qu’en Espagne, la scène venait d’atteindre son plus haut point de splendeur. On peut dire qu’en donnant au jeune poète rouennais le conseil d’étudier le théâtre espagnol, le vieux commandeur de Chalon donna à la France la tragédie et la comédie. Personne n’ignore que le Cid est imité des deux auteurs espagnols Guillen de Castro et Diamante, qui avaient traité ce sujet national sous le titre de las Mocedades del Cid[1] ; mais ce qu’on semble avoir oublié, c’est que la première comédie régulière qui parut sur notre scène, celle qui ouvrit, pour ainsi dire, la seconde route dramatique, le Menteur enfin, est encore un emprunt au théâtre espagnol. Corneille n’en fait pas mystère. « Ce n’est, dit-il, qu’une copie d’un excellent original Ce sujet, ajoute-t-il, m’a paru si ingénieux et si bien traité, que j’ai répété souvent que je donnerais deux de mes meilleurs ouvrages pour que celui-là fût de mon

  1. Laharpe suppose à tort que Diamante donna le Cid au théâtre avant Guillen de Castro. L’antériorité appartient incontestablement à celui-ci. Mais comment s’étonnerait-on que Laharpe fît à ce sujet une erreur de quelques années, lui qui commet un anachronisme de quatre siècles, en parlant d’un des plus célèbres personnages historiques des temps modernes ? N’a-t-il pas dit que l’action du Cid, lequel mourut en 1099, se passait au quinzième siècle ?