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LÉLIA.

êtres faibles qui se tuent pour s’empêcher de guérir. Vous étiez si sûre de ne pas vous consoler, que vous vous êtes flétrie lentement sans reculer d’un pas vers la vie, sans avancer d’un pas vers la tombe ; la mort est venue, et elle vous a prise, faible, brisée, morte déjà, mais enracinée encore à votre amour, disant à la nature : — Adieu, je te méprise et ne veux pas de salut. Garde tes bienfaits, ta poésie décevante, tes consolantes vanités, et l’oubli narcotique, et le scepticisme au front d’airain ; garde tout cela pour les autres, moi je veux aimer ou mourir ! — Viola ! vous avez même repoussé Dieu, vous avez franchement haï ce pouvoir inique qui vous avait donné pour lot la douleur et la solitude. Vous n’êtes pas venue, au bord de cette onde, chanter des hymnes mélancoliques, comme fait Sténio les jours où je l’afflige ; vous n’avez pas été vous prosterner dans les temples, comme fait Magnus, quand le démon du désespoir est en lui ; vous n’avez pas, comme Trenmor, écrasé votre sensibilité sous la méditation ; vous n’avez pas, comme lui, tué vos passions de sang-froid pour vivre fier et tranquille sur leurs débris. Et vous n’avez pas non plus, comme Lélia…

Elle oublia d’articuler sa pensée, et le coude appuyé sur le mausolée, l’œil immobile sur les flots, elle n’entendit pas Sténio qui la suppliait de se révéler à lui.

— Oui ! dit-elle après un long silence, elle est morte ! et si une âme humaine a mérité d’aller aux cieux, c’est la sienne ; elle a fait plus qu’il ne lui était imposé : elle a bu la coupe d’amertume jusqu’à la lie ; puis repoussant le bienfait qui allait descendre d’en-haut après l’épreuve, refusant la faculté d’oublier et de mépriser son mal, elle a brisé la coupe et gardé le poison dans son sein comme un amer trésor. Elle est morte ! morte de chagrin ! Et nous tous, nous vivons ! Vous-même, jeune homme, qui avez encore des facultés toutes neuves pour la douleur, vous vivez ou bien vous parlez de suicide, et cela est plus lâche que de subir cette vie souillée que le mépris de Dieu nous laisse !

Sténio, la voyant plus triste, se mit à chanter pour la distraire. Tandis qu’il chantait, des larmes coulaient de ses paupières fatiguées ; mais il domptait sa douleur, et cherchait dans son âme abattue des inspirations pour consoler Lélia.