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famille religieuse, fondée sur la participation héréditaire aux mêmes cérémonies, principalement à des cérémonies funèbres. On retrouve quelque chose d’analogue chez les peuples de l’Occident, dans la Phratrie athénienne et surtout la gens romaine[1]. Car on sait que la communauté de nom, chez les Cornelius, par exemple, tenait à la communauté des choses sacrées, non à la parenté du sang. Ces rapports prouvent à quelle haute antiquité remonte l’organisation de cette famille spirituelle dont le centre est un autel domestique, dont le lien est la religion des tombeaux. Probablement cette organisation contemporaine des origines brahminiques est antérieure à toute loi écrite. Sans doute elle était de temps immémorial dans les mœurs de cette race indo-européenne, à laquelle appartiennent presque tous les peuples civilisés de la terre. Eh bien ! cette organisation primitive est le fondement d’une portion considérable du droit indien qu’elle a précédé, notamment du droit d’héritage, tel qu’il est contenu dans le code de Manou.[2]

Tel est le rôle que jouent, dans l’antique société de l’Inde, deux faits qui sont donnés par ses mœurs primitives, la race et la famille, ou ce qui dans ces mœurs tient la place de la famille. Et voilà cette législation brahminique si impérieuse, qui, lors même qu’elle semble grouper arbitrairement les hommes par la caste et le sacrifice, obéit à des mœurs qu’elle n’a point produites.

On peut aller plus loin, et retrouver dans l’organisation politique de l’Inde la trace de mœurs encore plus anciennes. Telle est cette espèce de commune antérieure à toute autre institution, subsistant à travers toutes les conquêtes et tous les bouleversemens, qu’on pourrait appeler la molécule indestructible de la société indienne. Dès le principe, on voit le sol de l’Inde couvert de petites associations locales, dont chacune forme un tout politique complet, et contient ce qui lui est nécessaire pour vivre et se conserver[3]. Laissons parler le savant historien de Mysore[4]. Chaque district de l’Inde, dit-il, est en fait et a toujours été une commune ou petite république, et présente un tableau frappant de l’état primordial des choses, quand les hommes formaient de semblables communautés pour satisfaire à leurs besoins réciproques. Chacune de ces

  1. Voyez Niebuhr, Hist. romaine ; Bunsen, de jure hereditario Atheniensium.
  2. Voyez Gans Erb-Recht et M. Lerminier, Introduction à l’histoire du droit, p. 326.
  3. Heeren, Ideen, iii vol., p. 307-8.
  4. Historical sketches of the south of India, by colonel Mark Wilks. Londres 1810. V. i, p. 117 et suiv.