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taille, etc., s’il ose haranguer ses concitoyens, pourra être accusé par eux. Enfin Solon transporte l’initiative du peuple au conseil des quatre cents ; le peuple délibère, mais seulement sur ce que le conseil a proposé. Et remarquez comment se forme ce conseil : ce ne peut être au nom d’aucun privilège, l’altière démocratie d’Athènes ne le souffrirait pas. Qui donc indiquera ceux qui doivent en faire partie ? Le sort, la fève blanche ou noire. Ainsi Solon cherche un tempérament à la démocratie dans le hasard qu’il juge être quelquefois moins aveugle qu’elle, et la passion de l’égalité populaire est amenée par l’habileté du législateur à cette concession, sans s’apercevoir de ce qu’elle fait, sans songer que c’est au fond le hasard qui est le père de toute inégalité.

La division des Athéniens en quatre classes d’après la fortune, analogue à celle de Servius Tullius et à notre principe actuel du cens, est entièrement dans l’esprit démocratique, car elle repose sur un fondement mobile, la richesse. D’ailleurs, les emplois politiques étaient accessibles aux trois classes supérieures ; la dernière seule en était exclue : et encore Solon, comme pour réparer cette infraction au principe démocratique, se hâta d’abandonner à cette quatrième classe les emplois judiciaires en manière de dédommagement. Toute la constitution athénienne était donc basée sur la richesse. Solon n’avait pas trouvé d’autre principe social existant ; il fut donc obligé de tout rapporter à celui-ci, et Athènes serait peut-être tombée, malgré Solon, à ce degré d’abaissement moral où peuvent descendre les républiques dont le mobile unique est l’argent, si l’esprit mercantile n’eût trouvé un contre-poids naturel dans l’ascendant de l’éloquence et le pouvoir du génie. Solon luttait contre l’égoïsme qui est le danger des démocraties, qui s’y montre tour à tour sous les traits de l’ambition ou de l’indolence. Il s’efforçait d’unir entre eux les citoyens, d’en faire un corps composé de membres solidement attachés les uns aux autres. Sa tâche était d’autant plus difficile, qu’il était dénué de tout point d’appui religieux ou aristocratique ; et c’est dans les ressources et les expédiens dont il s’avisa pour y suppléer, qu’il fit éclater surtout une merveilleuse industrie. Recevant le mot d’ordre des mœurs capricieuses du peuple athénien, il voulait cependant lui donner des mœurs plus fortes, plus compactes, pour ainsi dire. C’est dans ce but qu’il fit un devoir à tout citoyen de prendre un parti en cas de division politique, qu’il permit à chacun de se constituer accusateur au nom d’une femme, d’un enfant outragé, et déclara l’offense faite à tout particulier, crime contre l’état.

Car, quelque différente que fût de la hardiesse et de l’autorité de Lycurgue, la sagesse timide, la circonspection prudente et délicate de So-