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LETTRES SUR L’INDE.

planches déjà pourries. La guerre se déclara ; Bouthon, qui était prudent, creusa des fossés ; on se battit, on s’égorgea, et ces marchands armés qui n’avaient alors que deux lieues de terrein, obtinrent quarante nouveaux villages voisins de Calcutta, par l’entremise d’un second chirurgien, nommé Hamilton, qui sut guérir l’empereur Hosan-Aly d’une maladie dont tous les empiriques de ses états n’avaient pu le délivrer. On prétend même que ce bon prince poussa la reconnaissance jusqu’à donner aux Anglais le droit de juridiction criminelle, et qu’ainsi ses sujets furent pendus selon la coutume de Londres.

C’est dans ce même temps qu’une province du Bengale se révolta contre son soubab. Le second Esculape, fondateur de Calcutta, avait lu Tacite aussi bien qu’Hippocrate, et connaissait ce grand principe : Si tu veux la paix, prépare-toi à la guerre. Les fossés furent donc agrandis : les canons se multiplièrent ; on fit des palissades, des parapets, des terres-pleins, et toutes les gentillesses du métier. On commença enfin, sous le règne de Charles ii, un des plus jolis forts du monde, qui fut à peu près terminé sous Jacques Ier, et qui reçut le nom de fort William.

Telle fut, ma chère belle, l’origine de Calcutta, qui ne le cède pas à celle de Rome, dont le fondateur n’était qu’un brigand. À la vérité, il n’en sortira jamais des Camille, des Manlius, des Scipion ; mais ces hommes-là n’entendaient rien au commerce, et l’honorable compagnie fait plus de cas d’une caisse d’opium qui lui vaut deux cents guinées que de tous les héros de Rome qui ne lui rapportent rien.

Adieu, je termine ici ma première lettre qui servira de préface à mon journal. Je suis venu ici pour faire mes emplettes, et je n’y veux rester que deux ou trois jours, ce qui est bien peu dans un pays où il faut réveiller les marchands pour leur acheter quelque chose, et tout faire par soi-même, quand on ne veut pas perdre cent pour cent sur tout ce qu’on achète.


Le 19 au soir.


Ainsi que toutes les villes qui se sont élevées peu à peu et sans plan fixe, Calcutta, ma chère belle, Calcutta manque de régularité