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en soulever quelques plis à la dernière limite de l’occident, car de ce côté sa bordure inférieure, légèrement relevée, laissait à l’œil charmé la vue du soleil qui descendait en ce moment dans l’océan tout enveloppé d’une pourpre étincelante : spectacle d’une splendeur toujours variée dans sa journalière magnificence !

Du sifflement des feuilles mortes que je traînais sous mes pas, du bruissement de la marée montante se déroulant lentement sur les plages unies, ou bien écumant avec fracas au pied des rochers ; des gémissemens confus d’un vent faible qui d’instant en instant venait se briser à travers les branchages des arbres, imitant assez bien les dernières plaintes d’un agonisant ; de tout cela, dis-je, résultait je ne sais quel concert d’une mélancolique harmonie.

L’impression que j’en recevais m’entraîna peu à peu dans une indéfinissable et vague rêverie. Les affaires, les plaisirs, les soucis du moment, les projets de l’avenir, tout cela n’exista bientôt plus pour moi. Les préoccupations politiques s’enfuirent elles-mêmes de mon esprit… Tous ces mille et mille craquemens d’une machine sociale qui s’en va se détraquant sous nos yeux, avec une si effroyable vitesse, pendant quelques instans je n’en entendis plus rien.

Un sentiment de vague tristesse, qui ne manquait ni de charme, ni d’une sorte de solennité, s’emparait peu à peu de moi. Un attendrissement sans motifs mouillait mes yeux. Au-dedans de moi s’opérait comme un retour vers les jours de mon enfance. Je me retrouvais au milieu de mes premières émotions, de mes premiers sentimens, comme si tant d’autres émotions, tant d’autres sentimens, surtout tant de mécomptes, tant de désenchantemens, dès le milieu de la vie, ne nous en séparaient pas par d’infranchissables abîmes. Des affections depuis long-temps méconnues, froissées, trahies peut-être, et en tout cas, au moins bien usées au frottement du monde, se réveillaient en moi. Je m’étonnais presque de les retrouver encore saintes, encore dévouées, encore prêtes au sacrifice. Des amis depuis long-temps dans la tombe, oubliés peut-être d’ordinaire, recevaient tout à coup comme une nouvelle existence du souvenir plein de vivacité qui me les rappelait en ce moment ; il me semblait voir leurs traits, entendre le son de leurs voix. Ils glissaient à mes côtés, m’arrivaient par les airs, se