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LE CHOLÉRA.

que des gouffres de désolation au milieu de nous, combien ne s’en joint-il pas d’autres, dont l’action plus lente, mais continue, ne laisse pas que d’être aussi meurtrière ? Ce n’est qu’à force de sueur et de sang, que l’homme, jeté nu sur la terre, y trace un pénible sillon, tandis que s’ouvrent à ses côtés mille fossés prématurés. La beauté, la force, l’intelligence ne lui sont que de fugitives apparitions. Il vit au milieu de fantômes doués d’aussi peu de réalité que ceux qu’il crée parfois dans le délire de la fièvre. Aucune expression, aucune image, aucun symbole, ne sauraient exprimer tout ce qu’il y a de fragile et de misérable dans sa condition. À ce triste banquet de la vie, où, sans l’avoir sollicité, il se trouve convié, combien d’épées se balancent au-dessus de sa tête, plus menaçantes que celle dont s’effraya Damoclès ! Cependant, comme si ce n’était pas assez de tant de misères et de tant de maux qui l’assaillent, parce qu’il est homme, seulement parce qu’il est homme, ne s’en fait-il pas bien d’autres encore de sa propre main ! Sur la surface de la terre l’homme a-t-il un ennemi plus redoutable que lui-même ? et, pour ne parler toutefois que des plus éclatans de ces désastres dont lui-même est l’auteur, a-t-il jamais cessé de répandre son sang sur d’innombrables champs de batailles ?

Après les guerres primitives, dont la tradition va se perdre dans la sainte obscurité des récits cosmogoniques, l’Orient nous offre aussitôt d’autres guerres immenses, gigantesques, colossales, à l’égal de ses poèmes, de ses monumens, de ses religions. L’histoire de la Perse se déroule à travers les phases diverses d’un combat perpétuel. La Grèce est le théâtre d’un long duel entre Athènes et Sparte. Toutes les nations de la terre viennent tomber sous l’épée de Rome, comme les épis sous la faucille du moissonneur ; cela fait, Rome se déchire les entrailles par les mains de Marius et de Sylla, de César et de Pompée ; puis à peine est-elle tombée sous les coups des barbares, qu’eux-mêmes ne tardent pas à s’entr’égorger sur les ruines du grand empire. Pendant des siècles, le nord de l’Afrique ne cesse de verser sur l’Europe le torrent des Sarrasins, qui viennent répandre leur sang dans les plaines de l’Espagne, de la France et de l’Italie. À son tour, l’Europe se précipite sur l’Asie. Vingt peuples se rencontrent l’épée à la main autour du tombeau du Christ ; sang noblement versé cette fois ! guerre trois fois