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FRAGMENS DE VOYAGE.

vous marchez mollement sur l’herbe, c’est vraiment la vie. On dit que, dans les jardins, il y a des guinguettes fort bien servies, où les familles vénitiennes vont se récréer le dimanche ; on y dîne fraîchement à l’ombre, et le soir, au clair de lune, on se baigne dans les belles eaux du golfe.

Hier, le ciel était clair et le soleil chaud ; mais la mer, que deux jours de vent avaient soulevée, houlait encore avec violence. Elle était bruyante et trouble. La beauté même du ciel, la vivifiante chaleur du soleil augmentaient l’horreur de cette mer agitée. Cela formait un singulier contraste… Je ne sais, mais dans cette vie orageuse du poète anglais, peu d’épisodes me semblent d’une tristesse plus solennelle que ces solitaires promenades le long du Lido, lui seul, sur son cheval, en face de l’immensité, et courant chaque jour depuis le fort en ruine jusqu’à cette borne de pierre, où il voulait qu’on l’enterrât ! Son épitaphe, imitée d’une inscription recueillie à Ferrare, était celle-ci : Noël Byron implora pace.

Sur votre demande, je voulus aller à cette borne. Long-temps je suivis le rivage, enfonçant dans le sable, et brûlé par la mer, tant qu’à la fin le soleil déclinant, il fallut songer à ma barque. Pour abréger, j’essayai de prendre à travers champs, mais sur cette terre plate et sans horizons, bientôt j’eus perdu toute direction. J’appelai, personne ne vint. Alors, trop éloigné de mon premier chemin, c’était de tirer droit vers Venise : je pris ma course dans les marais, et heurtant contre les racines, blessé par les aloës, les chardons, mille plantes sauvages, j’arrivai en sueur à la côte. Le gondolier me demanda si j’avais trouvé des vipères ? — Et pourquoi, lui dis-je ? — Vous n’avez pas vu des sillons sur le sable ; ce sont des sentiers de vipères ; on fait avec elles la thériaque de Venise.

Le soir, il y avait de la musique devant l’église de Saint-Marc ; mais les impressions du jour m’empêchaient de bien écouter ; je descendis la Piazzetta, et tout en suivant le quai des Esclavons, je résumai, à la manière italienne, les souvenirs de cette promenade dans une espèce de Canzone :


LE LIDO.


Enfin, Lido, j’ai vu tes grèves désolées,
Ton sable jaune et fin où confuses, mêlées,