Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 2.djvu/681

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
675
LES LOIS ET LES MŒURS.

famille a obtenu un commencement d’émancipation ; la femme, une émancipation complète. — Ces changemens peuvent donner une idée de tous les autres changemens du même genre. Considérons maintenant le dernier qu’a subi la constitution romaine, celui qu’y ont apporté les mœurs nées de la religion chrétienne.

Quand on songe à ce qu’était la vie des premiers chrétiens, quand on se représente cette métamorphose morale que subit le cœur humain régénéré par l’Évangile, il semble que Constantin, qui plaça le christianisme sur le trône, l’ait dû faire entrer dans les lois. Et Justinien, venu deux siècles après Constantin, ne pouvait-il pas profiter de la refonte générale à laquelle il soumettait la législation romaine, pour la mettre en harmonie avec le principe chrétien ? — Cependant il n’en fut pas ainsi : les bases du droit romain, tel qu’il était sorti des douze tables, tel que le temps et les révolutions l’avaient fait, ces bases ne furent point changées : tant était grande l’autorité de la loi établie, tant sa racine était profonde. Il y eut bien un certain nombre de mesures de détail que commandait la morale évangélique. De ce nombre sont celles qui interdisent ou restreignent les prostitutions et les jeux sanglans des gladiateurs. Avec les turpitudes et les cruautés, le christianisme ne pouvait transiger. Son esprit de douceur et d’égalité se fit sentir aussi dans quelques dispositions touchantes en faveur de ceux que la société opprimait. Telle fut la loi qui permit d’aliéner les choses sacrées pour le rachat des captifs[1]. Le paganisme avait témoigné de son respect envers ses dieux, en déclarant inviolable tout ce qui appartenait à leur culte. Le christianisme, par une inspiration supérieure, permit de donner les richesses de l’église en échange de la liberté humaine. Animé du même sentiment, il améliora le sort des affranchis, en leur permettant de recueillir et de transmettre des héritages, et en faisant passer le droit de leur famille avant celui de leur patron. Mais il n’alla pas plus loin : l’esclavage ne fut pas aboli ; l’égalité entière des droits ne fut pas accordée aux femmes ; en général, la condition des personnes et des choses ne fut point changée.

Ici, il faut remarquer la marche du christianisme. Il n’a point, comme les anciennes religions de l’Orient, promulgué un code social, il ne s’est point identifié avec un système de législation particulier, il n’a point imposé au monde une forme politique déterminée. Le christianisme a pris la société romaine telle qu’elle était, sans détruire cette vieille législation, héritière de tant de siècles et de tant de sagesse. Il s’est contenté d’en effacer les souillures et le sang, et d’y insérer quelques lignes de miséri-

  1. Heineccius, Elementa juris civilis, t. ii, p. 9.